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philosophale ; elle n’est pas plus facile à trouver pour la monnaie fiduciaire que pour l’or lui-même.

Pourquoi la panique s’était-elle aggravée au point de rendre efficace un remède purement illusoire en fait, la suspension de l’act ? C’est que la crise se rattachait en partie non à l’insuffisance réelle des billets, mais à la crainte de ne pas en obtenir. L’inflexible limite de la réserve commerciale de la Banque, tel était le cauchemar qui troublait les esprits et qu’il fallait dissiper. Que le système d’émission soit élastique ou qu’il soit rigide, les demandes se développent d’une manière rapide alors que le marché est ébranlé ; toute la différence consiste en ce que dans un cas l’espérance de puiser à des sources illimitées multiplie les engagemens et restreint les moyens sérieux d’y satisfaire, tandis que dans l’autre les prévisions qu’on accuse d’être trop rigoureuses soutiennent le crédit réel, entretiennent la confiance qui en est la source féconde, maintiennent la sincérité des transactions, et, sans aspirer à relever ce qui succombe comme une plante desséchée, elles raffermissent ce qui est seulement ébranlé.

La crise dernière, dont le noir vendredi a donné le signal, avait des causes profondes ; elle n’a point fait explosion comme un météore dévastateur dont il serait impossible ou trop difficile de connaître l’origine. Tout au contraire on était à même d’en prévoir et même d’en calculer la venue. Les signes précurseurs du fléau éclataient de toutes parts ; jamais peut-être pareil concours de circonstances fatales n’avait conspiré pour rendre le désastre plus complet et plus terrible. Cependant, comme un orage qui assainit l’atmosphère, cette crise douloureuse n’aura abattu que ce qui ne pouvait résister à l’action du temps : elle a mis à nu beaucoup de plaies latentes, elle a coupé court aux existences chétives et maladives ; mais le développement vigoureux du commerce de l’Angleterre et l’accroissement des recettes du trésor prouvent assez que la constitution robuste du pays ne se trouve pas gravement affectée. Le mal existe à la surface, il n’a point pénétré dans l’organisme social.

On accuse à tort sir Robert Peel d’avoir supposé qu’il n’y aurait plus de crise d’aucune nature : l’act de 1844 a guéri radicalement la plus dangereuse, celle qui s’infiltre dans toutes les relations sous la forme de l’instabilité monétaire ; la loi fournit des ressources énergiques pour combattre les autres embarras, cela suffit. Il y aurait témérité et ingratitude à la condamner, parce qu’elle ne les guérit pas toutes. Les charlatans seuls ont recours à un spécifique universel qui posséderait la puissance d’écarter tous les maux ; la médecine n’en connaît pas, mais elle constate avec empressement et elle salue avec reconnaissance les remèdes qui dominent certaines affec-