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à quel prix. N’est-ce pas, malgré l’importance de la somme, quelque chose de mesquin en face des milliards qu’un crédit sain, assis sur un numéraire fidèle, assure aujourd’hui à l’Angleterre par l’office régulier des banques de dépôt ?

Les efforts des ours (bears), si funestes aux compagnies suspectes, ont été impuissans contre les grandes banques de dépôt. Le bearing (spéculation combinée à la baisse) a joué un grand rôle dans la dernière crise financière de l’Angleterre : des manœuvres illégitimes de Bourse ont précipité un désastre qu’elles n’auraient pas à elles seules pu produire. Des combinaisons hostiles ont traqué les titres de certaines compagnies ; elles ont fait vendre à tout prix les actions, afin d’exciter l’alarme des déposans et de faire encore baisser les litres par suite du nui sur les caisses. On a été jusqu’à dénoncer des personnes occupant de hautes positions dans diverses entreprises, qui auraient trempé dans ces manœuvres déshonorantes. Pendant longtemps, les taureaux (bulls) ont été vaincus et les ours (bears) ont été triomphans. À Londres, les esprits se sont vivement émus de cette persistance de la baisse, et un membre du parlement, M. Leeman, a même déposé une proposition tendant à refréner le bearing.

Le bearing a beaucoup contribué à la convulsion de l’Overend-friday. Cela vient à l’appui de l’opinion qui considère la crise de 1866, non pas comme une panique du capital provenant de l’épuisement des ressources, non pas comme une panique commerciale fruit d’une spéculation désordonnée, non pas comme une panique monétaire (bullion-panic) ayant sa source dans une diminution de numéraire ou dans une suspicion jetée sur les billets de banque, mais comme une panique financière amenée par une maladie du crédit, à laquelle ont principalement conduit l’explosion des sociétés à responsabilité limitée, les manœuvres des spéculateurs à la baisse et les fausses combinaisons sur lesquelles repose la construction des chemins de fer.

L’act de 1844, sur lequel on a prétendu faire retomber la responsabilité de la tourmente, a fourni au contraire un puissant moyen de défense contre la crise, et parmi les hommes qui font autorité dans la question, presque aucun ne réclame la liberté d’émission ; loin de prévenir l’invasion du mal, elle n’aurait fait que l’aggraver. Beaucoup d’essais ont été produits, beaucoup de propositions ont été faites pour empêcher à l’avenir le retour d’une commotion pareille à celle du noir vendredi. Nous venons de donner le récit fidèle de cette tourmente ; nous essaierons peut-être d’en aborder l’étude sous ce nouvel aspect.


L. WOLOWSKI, de l’Institut.