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Keyzers était désormais Darling-street ; les tonnelles avaient disparu, toute la ville avait pris ce cachet britannique devenu si familier de nos jours au voyageur d’outre-mer. Je me garde de dire qu’elle y ait perdu. Les rues privées de canaux n’en sont que plus larges et plus belles, les trottoirs qui les bordent sont de même préférables aux bosquets du temps passé ; mais la vieille couleur locale a disparu, sauf de loin en loin quelques lions vendus à l’encan. L’étranger qui s’informera par exemple de la belle ménagerie admirée par Levaillant la trouvera remplacée par un muséum assez insignifiant, dont l’objet le plus original est à coup sûr une énorme botte à l’écuyère, difforme, recroquevillée, armée d’un éperon encore menaçant sous la rouille qui le ronge. Une étiquette nous apprend que cette botte est celle d’un postillon français… Quel postillon ? Pourquoi une botte et non pas l’autre ? La nationalité du postillon résulte-t-elle de la botte, comme le squelette du mégathérium de la mâchoire retrouvée par Cuvier ? Enfin saura-t-on jamais de quel grand personnage cet éperon a jadis animé les coursiers ? L’écriteau ne révèle aucun de ces secrets.

Malgré cette transformation, le Cap n’en est pas moins resté le point le plus intéressant de la colonie. Toute la partie des environs qui comprend les quartiers de Bondebosch, Wyneberg, Mowbray, abritée du vent et du soleil, rappelle les sites les plus pittoresques de l’Angleterre, tant par ses frais cottages que par les arbres séculaires qui ombragent les routes, chênes, pins d’Australie, aulnes, peupliers. De plus les relations du Cap sont constantes avec les nouveaux ports de la côte orientale depuis la baie d’Algoa et Port-Elizabeth jusqu’à D’Urban et Port-Natal, comme aussi avec les anciennes villes de l’intérieur, Zwellendam, Graaf-Beynet, Uitenhage, et, bien que le mouvement commercial du pays ne soit pas en grand progrès aujourd’hui, les importations de 1864 n’en ont pas moins été de 62 millions de francs, et les exportations de 60 millions. Grâce à un chemin de fer inauguré dans ces dernières années et fonctionnant sur un parcours de 92 kilomètres, le voyageur peut facilement visiter dans sa journée les districts de Stellenbosch et de la Paarl, où se sont conservées quelques-unes des familles françaises exilées sur cette rive lointaine par la révocation de l’édit de Nantes. Elles n’ont plus guère de français que le nom, mais plusieurs de ces noms sont illustres, Duplessis-Mornay, Villiers, Hugo, Malherbe ; deux descendans de cette race proscrite ont même gouverné la colonie au siècle dernier, Maurice de Chavonnes et Jean de La Fontaine. C’est au Cap enfin que viennent aboutir les principaux fils du vaste réseau propagandiste dont les missions protestantes ont enserré l’Afrique méridionale, et nul sujet assurément