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vages qui n’aient éprouvé les bienfaits de l’évangélisation. Nulle œuvre au début ne fut plus ingrate; il semblait que le défaut presque absolu de notions religieuses dût offrir au missionnaire une table rase propre à recevoir ses enseignemens : tout au contraire ce qui résultait de cette nuit totale, c’était l’absence d’un point d’appui pour le levier religieux que l’on voulait faire agir. Rien ne mordait sur ce dur granit. Les années se succédaient sans progrès apparent, et l’on vit entre autres, chez une tribu de Bechuanas, l’un des fondateurs de l’œuvre, M. Moffat, attendre dix ans sans se lasser les premiers symptômes de fructification. Sa femme et lui se partageaient la tâche, prêchaient de l’exemple non moins que de la parole, ne se rebutaient jamais lorsqu’ils entrevoyaient la possibilité de rendre un service matériel à quelque membre de leur famille d’adoption, et ne croyaient pas moins servir Dieu de la sorte qu’en se bornant à l’aride exposition de dogmes trop souvent incompris. Ils ne désespérèrent jamais. A l’heure la plus sombre de cette longue période d’adversité, c’est M. Moffat lui-même qui cite ce détail d’une touchante naïveté, alors que le succès semblait plus éloigné que jamais, une des amies de sa femme ayant voulu envoyer d’Angleterre un souvenir à l’exilée, cette dernière demanda des vases de communion qu’un heureux hasard fit arriver à leur destination précisément le jour où pour la première fois des sauvages convertis approchaient de la sainte table. Discute qui voudra la question si controversée du mariage des prêtres protestans : pour moi, je l’avoue, nul rôle de femme ne me paraît plus complètement, plus idéalement beau que celui de la compagne du missionnaire, et, grâce à Dieu, l’expérience est là pour démontrer combien ce sentiment est partagé ici par les races infortunées dont on cherche à dessiller les yeux. « Aussi longtemps que nous étions demeurés seuls, écrit M. Casalis, les Bassoutos avaient vu dans notre existence quelque chose de phénoménal et de suspect. On chuchotait souvent autour de nous sur cette matière; les interprétations étaient diverses, mais toutes défavorables. Tout changea de face le jour où des servantes du Christ vinrent rassurer les esprits sur la permanence de notre œuvre, relever la dignité du caractère pastoral et donner l’exemple de l’assiduité aux services religieux. »

Disons tout de suite, puisque le nom de M. Casalis nous y amène, que les missions évangéliques de France tinrent dignement leur place dans ce noble mouvement de charité. Il n’était guère possible qu’elles eussent la priorité de date, mais sous tout autre rapport elles ne le cédèrent en rien à personne, et toute une contrée inculte et misérable il y a trente ans se vit, grâce à elles, sinon civilisée dans le sens européen du mot, du moins couverte de villages et de