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Certes ce résultat est beau; mais ce qui l’est plus encore, c’est la simplicité des moyens par lesquels il a été obtenu et l’instructive leçon que l’on en peut retirer. Grâce à sa position centrale, Singapore en effet avait l’inappréciable avantage de servir de trait d’union entre les divers marchés de ces mers, l’Inde, la Chine, Java, Manille, etc., et tout capitaine arrivant d’Europe après trois ou quatre mois de traversée apprenait là mieux que partout ailleurs lequel de ces marchés devait lui donner les meilleures conditions de vente. Toutefois cette considération n’eût pas suffi à déterminer le rapide essor que l’on a vu, si dès le début, alors que les doctrines de liberté commerciale étaient encore partout lettre close, Singapore n’eût été déclaré port franc. C’est ainsi que tous les pavillons du globe n’ont cessé d’être représentés dans l’immense flotte marchande qui amène chaque année dans ses eaux de 1,200 à 1,300 navires jaugeant plus de 600,000 tonneaux. Enfin, — et ce n’est pas le moindre enseignement pour nous, — lorsque nous avons dit de quelle somme minime l’Angleterre avait payé cette prospérité, nous ne faisions qu’énoncer la plus stricte vérité, car je ne crois pas qu’aucune colonie ait jamais moins coûté à la mère-patrie soit en première mise, soit en entretien. Point de luxueuses bâtisses, peu d’établissemens publics, et pas d’autre garnison que 400 cipayes indiens avec quelques artilleurs; encore sont-ils soldés sur le budget local. On peut même dire que cette confiance avait été poussée à l’extrême, puisque, jusque dans ces derniers temps, Singapore n’avait d’autre protection que quelques forts inoffensifs, bons tout au plus à répondre aux saluts des bâtimens de guerre. Aussi a-t-on mis sérieusement à l’étude un projet de fortifications capables de protéger, en cas d’attaque, les richesses de tout genre constamment accumulées à terre et en rade.

Le trait caractéristique de Singapore, celui dont ne peut s’empêcher d’être frappé le voyageur, c’est, avec l’insignifiance de l’élément militaire, l’extraordinaire infériorité numérique de la race