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coquillages, et par-dessus tout de coraux admirables, aux teintes les plus riches et les plus variées. Des enfans malais s’empresseront dans des flottilles de pirogues lilliputiennes d’où ils plongeront à l’envi pour rapporter les pièces de monnaie qui leur sont jetées, avant même qu’elles aient touché le fond. Les Malais sont de si incomparables plongeurs, qu’une de leurs industries consiste à visiter et à nettoyer le doublage en cuivre des carènes, en y remplaçant les feuilles qui manquent comme on le ferait dans un bassin. Parfois enfin un de ces escamoteurs indiens, les plus habiles du monde, donnera pour quelques sous sur le pont une représentation à l’équipage émerveillé. À terre, le nouvel arrivé aura à défendre sa bourse contre des tentations plus dispendieuses, car l’une de ses premières visites sera nécessairement pour l’universel John Little, au Commercial Square, où il se verra entouré de marqueteries de Bombay, de bronzes et de cloisonnés de la Chine, ou encore de porcelaines du Japon, sans se douter que son inexpérience le lui fera payer aussi cher qu’à Paris. Ce Commercial Square, sorte de bourse en plein air, centre des affaires de Singapore, est une place rectangulaire à arcades, où sont les bureaux des principaux négocians. Autour s’étend le quartier des Indiens et des Chinois, ces derniers, de beaucoup les plus nombreux, ayant une tendance marquée à se grouper par professions, comme jadis les corps de métiers dans nos cités du moyen âge. On les verra de la sorte épiciers et bouchers (la boulangerie n’est pas leur fait), tailleurs d’Européens et d’indigènes sur une assez grande échelle pour employer jusqu’à quarante ouvriers et plus, charpentiers et forgerons, ferblantiers, barbiers, armuriers, etc. Ils se livrent souvent, en cette dernière qualité, à la singulière occupation de transformer des fusils à piston en fusils à pierre pour ceux de leurs cliens de la Malaisie qui trouveraient trop de difficultés à renouveler au loin leur approvisionnement de capsules. La principale de ces rues chinoises sert d’amorce à la route qui conduit au nouveau port de Singapore, New-Harhour, où sont les établissemens maritimes des paquebots anglais et français, les docks, etc. Peu de Malais habitent ce côté de la ville ; presque tous sont réunis à l’autre extrémité, au-delà du quartier européen, lequel est séparé de celui dont on vient de parler par une rivière constamment encombrée de centaines de barques.

Le quartier européen est charmant avec ses larges rues, ses jardins et ses élégantes maisons aux portiques à colonnes. Toutefois d’année en année il devient plus désert, non que la population diminue, mais parce que la plupart des négocians préfèrent aujourd’hui, et avec raison, le séjour des campagnes environnantes. La configuration naturelle du pays s’y prête on ne peut mieux, l’inté-