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férence d’âge, le sénéchal ne paraît pas avoir été trompé par Diane. Jacques de Brézé, son père, avait tué de sa propre main la fille d’Agnès Sorel, Charlotte de France, pour la punir d’une infidélité. Avant d’être inhumée à l’abbaye de Coulombs, la victime de cette vengeance conjugale avait été transportée dans une des chambres du château d’Anet, où était suspendu son portrait. En contemplant cette image, Diane pouvait faire des réflexions qui contribuèrent peut-être à rendre sa vertu plus ferme. Quoi qu’il en soit, sa réputation demeura intacte pendant tout le temps de son union avec Louis de Brézé, et la fable qui veut qu’elle ait payé de son honneur la vie de son père, Saint-Vallier, est une calomnie inventée après coup. M. Guiffrey, dans son nouveau recueil, et M. de Lescure, dans un ouvrage qui, sous une forme pittoresque, résume bien les chroniques du temps[1], nous semblent avoir résolu cette question; la mémoire du roi « sacré chevalier par Bayard » doit être préservée de l’infamie qu’on lui a longtemps attribuée. Il faut demander à l’imagination populaire la première origine de cette rumeur. L’arrêt de mort du comte de Saint-Vallier avait été prononcé par le parlement. Au jour fixé pour l’exécution (17 février 1523), la foule était accourue autour de l’échafaud, dressé en place de Grève. Le condamné paraît. Il crie « merci à Dieu, au roi et à tout le monde. » Il s’agenouille pour recevoir le coup mortel, lorsqu’un archer du roi se présente et apporte les lettres qui commuent la peine de mort en une prison perpétuelle. La foule, déconcertée par ce dénoûment imprévu, y cherche des causes mystérieuses, et les suppositions les plus étranges se font jour dans la crédulité publique. «Et estoit bruit, lisons-nous dans le Journal d’un bourgeois de Paris, que le dict seigneur de Sainct-Vallier avoit menacé le roy, en son absence, de le tuer à cause de la défloration d’une sienne fille qu’on dict qu’il avoit violée et fut la cause qu’il fut mis en cet estat, et de faict, n’eust esté le dict grand-sénéchal de Normandie, son gendre, il eust esté décapité.» Évidemment, ce n’est là qu’une fable. Diane, qu’on représente comme une jeune fille, était mariée depuis huit ans et avait eu déjà deux enfans de Louis de Brézé.

En réalité, la grâce de Saint-Vallier n’eut rien d’extraordinaire. Chaque jour, Diane approchait la reine en qualité de dame d’honneur, et la charge de grand-sénéchal mettait son mari en rapports continuels avec le roi. Qu’y a-t-il d’étonnant que ce prince se soit ainsi laissé toucher par les prières de son entourage, et pourquoi supposer, sans autres témoignages que des récits évidemment controuvés et une anecdote graveleuse de Brantôme, le honteux marché de la tirade du Roi s’amuse ? Au surplus les inventeurs de ce qu’on pourrait appeler la légende de Saint-Vallier n’ont pas même pris la peine de se mettre d’accord entre eux. Les uns l’ont fait mourir foudroyé, en recevant sa grâce, d’un excès de joie succédant à un

  1. Les Amours de François Ier, par M. de Lescure; 1 vol..