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Dont le nom gracieux
N’est jà besoin d’écrire.
Il est écrit aux deux
Et de nuit se peut lire.

Henri était marié à Catherine de Médicis depuis 1533, mais les mœurs de l’époque admettaient parfaitement le partage d’un cœur entre une femme et une maîtresse. D’ailleurs on avait d’abord représenté le culte de Henri pour Diane comme une affection purement platonique. Dans une relation reproduite par M. Armand Baschet[1], l’ambassadeur vénitien Marino Cavalli écrivait au sujet du dauphin : « Il n’est guère adonné aux femmes, la sienne lui suffit; pour la conversation, il s’en tient à celle de Mme la sénéchale de Normandie. Il a pour elle une tendresse véritable, mais on pense qu’il n’y a rien de lascif, et que dans cette affection c’est comme entre mère et fils; on affirme que cette dame a entrepris d’endoctriner, de corriger, de conseiller M. le dauphin et de le pousser à toutes les actions dignes de lui. » Catherine de Médicis savait bien à quoi s’en tenir sur leur passion; mais la froide et astucieuse Florentine refoulait au fond du cœur tout dépit, toute colère, et attendait avec cette patience qui est la marque de l’ambition l’heure où elle pourrait prendre sa revanche. Un ambassadeur vénitien a dit que « dans cette femme d’Étrurie le fameux temporisateur Fabius, ce grand Romain, eût bien reconnu sa fille. » Catherine eut d’ailleurs une situation difficile pendant les premières années de son mariage. Mariée depuis neuf ans, elle était restée stérile, et il y avait à craindre que la race des Valois ne s’éteignît. On fit courir le bruit d’un divorce, et la relation de Lorenzo Contarini explique avec quelle prudence Catherine sut détourner l’orage suspendu sur sa tête. « Elle alla trouver le roi, à qui elle dit avoir entendu que l’intention de sa majesté était de donner une autre femme pour épouse à son mari, et que, puisque jusqu’alors il n’avait pas plu au Seigneur Dieu de lui faire la grâce d’avoir des enfans, il convenait, du moment que sa majesté n’avait pas pour agréable d’attendre davantage, qu’elle pourvût à la succession d’un si grand trône, et que pour sa part, en raison des grandes obligations qu’elle avait à sa majesté, qui avait daigné l’accepter pour belle-fille, elle était plutôt disposée à supporter cette grande douleur que de s’opposer à sa volonté, et qu’elle se résolvait à entrer dans un couvent ou à demeurer à son service et en sa faveur. Cet épanchement, elle le fit avec beaucoup de larmes et de tendresse au roi François Ier; le cœur si noble et si facile du roi s’émut tellement qu’il lui dit : — Ma fille, ne doutez point que, puisque Dieu a voulu que vous soyez ma belle-fille et la femme du dauphin, je ne veuille qu’il en soit autrement; peut-être lui plaira-t-il de vous faire la grâce, à vous et à moi, de répondre à ce que

  1. M. Armand Baschet, les Princes de l’Europe au seizième siècle.