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entr’ouverte. Des tentures de soie tramées d’or et des tapis de Perse représentaient des forêts et des fleurs qui semblaient naturelles.

Nous trouvons dans la description du palais d’Ahmet-ben-Teyloun, au Caire, la même recherche de luxe et d’élégance. Déjà au VIIIe siècle ses jardiniers greffaient des roses, et les variaient de couleur en secouant le pollen des unes sur les autres. Dans les bassins, on cultivait des nénufars bleus, roses et jaunes, puis des giroflées d’eau d’une beauté rare. Le tronc des palmiers était doré, et le long de l’écorce épaisse et raboteuse on avait disposé de petits tuyaux de plomb parfaitement dissimulés, qui conduisaient l’eau jusqu’à la cime, d’où elle s’épanchait, par-dessus les palmes, en pluie fine comme la rosée, conservant toujours à l’atmosphère une délicieuse fraîcheur. Une immense volière en bois de santal, sculptée et peinte en vermillon, azur et or, était remplie d’oiseaux de Nubie, de tourterelles bleues du Sennaar, de perruches couleur de feu, tandis que le paon de la Chine, l’ibis écarlate et le faisan bronzé de l’Himalaya volaient en liberté dans les arbres. Une galerie de verdure taillée avec art et formant des dessins et des lettres arabes conduisait de la volière à une vaste salle entièrement couverte au dedans comme à l’extérieur d’arabesques de tous les tons de l’or rehaussés d’un trait de vermillon. Là comme dans les palais de Babylone, on voyait les statues en bois sculpté des femmes du harem et des danseuses de la cour. Le front couvert de couronnes d’or pur, de turbans enrichis de pierreries, ces statues portaient au cou, aux bras, aux jambes, aux oreilles, des colliers et des anneaux de perles et de rubis. Les étoffes des vêtemens étaient peintes de façon à s’y méprendre. Ces représentations de la nature humaine transgressaient les lois du Coran ; mais alors l’influence de l’art asiatique dominait seule, surtout chez un prince de la famille d’Ommaïah réfugié en Égypte pour échapper aux Abassides, devenus à leur tour souverains de Bagdad. Son fils, le prince Khomarouïah, ne fit qu’augmenter et embellir ce seraï ou palais magnifique. Il y ajouta un manège dans lequel chaque jour il s’exerçait au jeu de paume à cheval. Ce jeu chevaleresque est originaire de Perse, où il se nomme chogan, qui signifie la cuiller en bois servant de raquette au jeu de paume[1]. Les écuries et les ménageries du palais couvraient un vaste espace attestant le même luxe. A chaque écurie était attaché un inspecteur richement payé. Toutes les espèces d’ânes, de chevaux, de dromadaires, d’éléphans et de girafes y étaient dressées

  1. Du mot chogan est dérivé le mot français chicane, qui a été longtemps en France et est encore en Languedoc le nom de ce divertissement. De là l’expression de guerre de chicane, car ce jeu était une véritable dispute. Par la suite, le verbe chicaner fut appliqué aux disputes des plaideurs.