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Tallien. La restauration, pour des causes qui ne sont pas bien connues, fit en faveur de l’ancien conventionnel une exception à la loi qui exilait les régicides. Il mourut à Paris le 16 novembre 1820. Quelques jours après, on lisait dans le Moniteur : « S’il est permis de révéler les secrets d’une auguste bienveillance, aux yeux de laquelle une grande action avait tout réparé, on peut dire que, sans les secours qui lui étaient accordés, Tallien serait mort dans un dénûment absolu. »

Mme Tallien, en devenant princesse de Chimay, entra dans cette seconde phase de beaucoup d’existences bruyantes qui rachètent par le calme un peu triste de l’âge mûr les fautes et l’agitation de la jeunesse. Pendant toute la dernière moitié de sa vie, de 1805 à 1835, elle se consacra aux soins de sa famille. Loin de se plaire à reporter sa pensée sur les jours où elle faisait l’envie de tant de femmes et l’admiration de tous les hommes, elle ne cherchait qu’à faire oublier ses triomphes d’autrefois : ce qu’elle eût désiré avant tout, c’était la considération, la dignité du foyer domestique, une place tranquille et honorée dans la société belge ; mais l’aristocratie de Bruxelles se montrait implacable dans ses préventions contre la femme qui avait porté le nom de Tallien. Le roi Guillaume refusait obstinément de la recevoir à sa cour, et la position du prince de Chimay, qui était chambellan et membre de la première chambre des états-généraux, rendait cette exclusion plus blessante encore. Elle cherchait à se consoler de ces injustes dédains par la culture des arts. La demeure hospitalière de Chimay était le rendez-vous d’hommes distingués. Elle y réunissait des littérateurs, des artistes, Isabey, Cherubini, Lemercier et l’aimable auteur de la Muette, M. Auber, qui disait en parlant de sa contemporaine : « Quand elle entrait dans un salon, elle faisait le jour et la nuit, le jour pour elle, la nuit pour les autres. »

Cependant, malgré tous ses efforts, elle ne pouvait empêcher les échos d’un passé lointain de retentir autour de son nom. Ce fut pour elle une source de véritables souffrances. Elle écrivait en 1829 à M. Edouard Cabarrus : « Je te remercie du fond du cœur, mon ami, de vouloir arrêter la publication des mémoires dont je suis menacée. Non-seulement je n’en ai pas écrit, mais je n’en écrirai pas. Je ne voudrais faire à personne le mal que l’on m’a fait, et des lettres adressées dans un temps qui n’est plus, publiées maintenant, me vengeraient trop cruellement. J’ai vécu jusqu’à ce jour sans avoir fait répandre une larme, sans avoir éprouvé un sentiment de haine ou le désir de me venger. Je veux mourir telle que j’ai vécu. » Dans ses lettres à un de ses plus fidèles amis, M. de Pougens, elle parlait avec une tristesse profonde de quelques pamphlets rétrospectifs dirigés contre elle par des hommes qui voulaient faire acheter leur silence à prix d’argent. Elle lui écrivait le 17 juin 1826 : « N’êtes-vous pas un des meilleurs médecins de ce triste cœur, si ulcéré depuis bien des années et si cruellement outragé par d’atroces calomnies ?… Et la fille de Tallien, celle qui porte le nom de Thermidor dans son acte de naissance, aujourd’hui Mme de Narbonne-Pelet, mère de cinq enfans, quelle douleur elle a dû ressentir ! » La