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par le penchant inné, il l’est encore par la combinaison plus ou moins complète, plus ou moins propice de facultés dont cette première est le moteur, le pivot autour duquel les autres se groupent comme des auxiliaires.

Tous les oiseaux construisent leur nid d’une façon identique suivant leur espèce, guidés qu’ils sont par un instinct fatal et restreint ; toutefois il est aisé d’observer certaines races qui, excitées par les dangers à vaincre, font des calculs et inventent des moyens dignes des plus savans géomètres. Le passereau campe sur le foin sans souci du lendemain ; ce n’est qu’un gâcheur, tandis que l’hirondelle est un maître maçon qui construit pour la vie. Quelques animaux sont d’une habileté singulière et dépassent bien des peuples en intelligence architecturale. Quand on voit l’argyroneta aquatica s’enfermer dans une bulle transparente, pourvue de l’air nécessaire à son existence, et naviguer, pondre, élever ses petits sous l’eau, résolvant ainsi longtemps avant nous le problème de la navigation sous-marine ; quand on voit les termites construire des cités aussi populeuses, aussi régulières que nos grandes villes, et élever des pyramides qui ont cinq ou six cents fois la taille des architectes qui les édifient ; quand on songe que ces industrieux insectes ont pourvu à la circulation intérieure, à l’ascension commode des ouvriers au moyen de rampes courbes ménagées le long des murs, à la ventilation, au drainage, à l’écoulement des eaux, — qu’ils ont trouvé pour la toiture une forme cissoïdale analogue à celle du dôme d’une mosquée de la Perse, — que la solidité de ce dôme est telle que les chevaux ou les buffles sauvages peuvent impunément stationner dessus ; quand on songe qu’ils modifient leurs plans suivant la disposition des lieux, et que les aménagemens de leurs cités sont toujours si ingénieux que les œuvres les mieux étudiées de l’homme peuvent à peine soutenir la comparaison ; quand on rapproche tous ces faits, comment pourrait-on faire difficulté d’admettre de même chez l’homme une sorte d’instinct mystérieux analogue à celui-là ?

S’il existe en réalité dans l’entendement de l’homme une faculté esthétique spéciale d’architecture, il y a aussi un peuple chez lequel cette faculté a été développée au degré le plus éminent, un peuple qui, depuis l’antiquité la plus reculée, a fait surgir dans l’art de bâtir des idées neuves, savantes et en même temps essentiellement décoratives. Pour étudier le génie primitif de la construction, c’est dans les pays de ce peuple qu’il faut aller, dans ces climats conservateurs où se retrouvent les plus anciens monumens de la terre. Une civilisation qui a précédé toutes les autres a dû nécessairement influer sur celles qui l’ont suivie. C’est donc à la source de ce fleuve puissant qu’on doit remonter pour trouver l’art