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Victor-Emmanuel roi d’Italie, alliance avec la France, c’étaient là les termes du problème tel que Manin le posait, et ces idées, il les lançait dans de petits manifestes précis et vifs, dans des lettres multipliées, au milieu des attaques des républicains, des fédéralistes, des conservateurs, qui venaient l’assaillir sans l’ébranler. On ne voyait pas alors ce qu’il y avait de décisif dans cette vigoureuse initiative ; on l’a vu depuis. Par le fait, cette politique du dictateur exilé se propageait avec plus de rapidité qu’il ne le croyait peut-être lui-même, ouvrant la route à Cavour, détachant du parti révolutionnaire et de Mazzini les esprits généreux ou sensés, Garibaldi tout le premier, et préparant ce faisceau national d’hommes de toutes les opinions, de toutes les régions, par lequel s’est accompli un mouvement auquel Manin seul a manqué au jour définitif de l’action et du triomphe. Il s’éteignait tristement en effet le 22 septembre 1857, blessé au cœur de toute façon, ayant déjà perdu sa fille, cette Emilia qui dans sa grâce douloureuse et charmante était comme une image de Venise. Il mourait du mal dont il avait ressenti plus d’une atteinte au milieu même des excitations de la lutte de 1848, que les souffrances de l’exil aggravaient, et son dernier acte politique était de signer d’une main déjà défaillante une circulaire de la société nationale, récemment formée sous son impulsion, de cette société qui a joué un grand rôle dans les derniers événemens. Ainsi, par sa résistance passive, par l’excès de ses mécontentemens, comme par les idées dont son chef le plus populaire s’était fait le promoteur, Venise était de toutes les provinces italiennes la mieux préparée à la guerre de 1859, à la révolution qui en a été la suite, et par une ironique fatalité c’était la seule qui restait en gage aux mains de l’Autriche. Elle avait vu le drapeau français prêt à forcer l’entrée de ses lagunes ; elle avait entendu jusque près de l’Adige le canon de ces deux armées dont l’alliance était le rêve de Manin ; elle avait recueilli avec une frémissante impatience les manifestes qui appelaient l’Italie à l’indépendance « des Alpes à l’Adriatique, » et elle retombait autrichienne, — avec promesse d’une administration nationale, cette fameuse administration nationale qui reparaît toujours aux heures de détresse de tous les dominateurs étrangers en pays conquis.

A quoi donc a-t-il tenu que de cette paix de Villafranca il n’ait pu sortir rien de durable pour la Vénétie, et que la domination de l’Autriche ait été désormais un fait sans avenir ? Justement à ce courant d’opinion que Manin avait contribué à créer, qui se répandait au-delà des Alpes, du nord au midi, et qui, en faisant surgir une Italie toute nouvelle campée sur le Mincio et à Ferrare, rendait la domination autrichienne non plus seulement répugnante et difficile, mais