Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 65.djvu/170

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

race blanche ne s’entoure pas d’une barrière infranchissable et éternelle : il est convenu qu’après plusieurs générations le sang noir s’efface. Il n’y a point d’inquisition tyrannique pour fouiller les origines et proscrire les familles. Pour être traité comme blanc, il suffit d’y prétendre et de ne plus avouer la tache originelle. Ces mœurs plus douces montrent combien le facile Espagnol diffère du rude et puritain Yankee. Ce pays, où l’on adore les titres et les puissances, est au fond très imbu d’esprit démocratique et égalitaire. Les premiers venus s’y élèvent aisément au rang des plus anciennes familles, et ne rencontrent point ces barrières de caste que le génie saxon, malgré tout son libéralisme, est prêt sans cesse à opposer aux humbles. Ici l’homme du peuple est señor encore plus qu’il n’est monsieur en France, tandis qu’en Angleterre il n’est que fellow, et qu’en Amérique l’homme de couleur est boy toute sa vie. L’esclavage dont Cuba est le berceau et la terre nourricière n’entraîne pas nécessairement l’abaissement et la dégradation de toute la race avec sa descendance. Il a fallu ces Anglo-Saxons à tête carrée, gens à principes et à règles immobiles, inflexibles dans la rigoureuse application de la doctrine admise, pour repousser l’homme de couleur au rang des animaux et des brutes. Nul n’a plus obstinément prêché l’infériorité du noir que ce Yankee qui aujourd’hui l’émancipe. Tant que le nègre était esclave, il fallait qu’il ne fût pas un homme ; dès qu’il est homme, il faut qu’on l’affranchisse : voilà comment procède la logique des têtes saxonnes ; mais les légers Espagnols, avec leurs idées vagues et flottantes, ne se piquent d’être conséquens ni dans le bien ni dans le mal. Il est rare que leurs actes soient d’accord avec leurs doctrines, et le plus souvent ils ne se donnent pas la peine d’avoir des doctrines. L’esclavage se maintient à Cuba parce qu’il existe, et personne n’en donne d’autre défense que le fait lui-même : c’est le seul fondement qu’on puisse raisonnablement lui donner en effet, et sur lequel l’institution puisse braver encore, pour un temps, l’assaut des idées nouvelles. — Il y a des lois qui améliorent la condition de l’esclave, qui exposent les maîtres cruels à des peines sévères, qui les obligent à lui vendre à bas prix sa liberté et celle de ses enfans. Eh bien ! ceux même des planteurs qui sont connus pour leur humanité vous vanteront ces lois tout en se félicitant qu’elles ne soient point observées. — La traite est interdite sous les menaces les plus sévères ; pas un habitant de l’île qui ne se dise ennemi de la traite. Il en est peu cependant qui, comme don Juan P…, n’aient pas acheté depuis vingt-cinq ans un seul esclave. Quand un navire chargé de bétail humain entre dans le port de la Havane, les autorités espagnoles s’en emparent conformément au traité des puissances européennes