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venue d’une situation monétaire moins embarrassée ; la puissance du crédit britannique, un instant atteinte, retrouvera bientôt toute son énergie. Quant à la rançon payée, il est facile d’en calculer le montant. Prenons le chiffre le plus large, celui que M. Watkin a formulé en portant sa proposition d’enquête à la chambre des communes : il a dit qu’on pouvait estimer à 300 millions de livres (7 milliards 1/2 de francs) le montant des valeurs présentées à l’escompte au taux de 10 pour 100 ; il a estimé à moitié le surcroît d’intérêt imposé par la crise. Admettons ces données, bien qu’elles nous semblent exagérées du côté du montant des titres escomptés et du côté de la réduction à 5 pour 100 du taux de l’intérêt normal, quand la position se trouve embarrassée ; au moins ne saurait-on nous accuser d’atténuer les conséquences. Calculons : une différence de 5 pour 400 par an sur l’escompte se réduit pour trois mois à une différence de 1 1/4 pour 100 ; or que représente ce chiffre appliqué à 7 milliards 1/2 ? Un total inférieur à 94 millions de francs : c’est beaucoup sans doute, cependant ce chiffre n’équivaut même pas au vingt-cinquième de celui qui représente aujourd’hui le progrès annuel de la richesse britannique. Tout en déplorant cette perte, il faut reconnaître qu’elle sera facile à réparer. Que ne pouvons-nous en dire autant des ressources énormes englouties dans les sinistres qui ont amené la crise !

La Banque d’Angleterre a fait tête à l’orage : elle a maintenu la circulation fiduciaire dans une situation normale, elle n’a cédé ni aux menaces, ni aux objurgations, ni aux faux systèmes ; le pays n’oubliera point l’immense service qu’elle lui a rendu. Elle ne s’est pas laissé atteindre par le découragement ; elle a eu foi dans le principe honnête, scrupuleux et ferme que sir Robert Peel a fait consacrer ; elle est restée dans la limite de l’act de 1844, elle n’a pas fait un usage inconsidéré de la faculté d’émission supplémentaire qui lui était ouverte, et la panique a disparu. Si la Banque avait faibli, si elle avait créé la masse de billets qu’on lui demandait, le mal aurait été en s’aggravant : le prétendu palliatif d’une monnaie élastique aurait tout corrompu. C’est dans ce sens que l’illustre Américain Webster disait : « De tous les artifices employés pour abuser les hommes, on n’en a pas rencontré de plus décevant que la monnaie de papier[1]. »

  1. « Of all contrivances for cheating mankind, none bas been more effectual, than that which deludes them with paper-money. »