Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 65.djvu/220

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

même substance. Si l’établissement de ces fils est coûteux, la durée par contre en est indéfinie, et d’ailleurs, dès qu’il s’agit de la défense du territoire, ce n’est pas à l’argent qu’on a le devoir ou l’habitude de regarder.

Nous passerons sur les détails faciles à imaginer de la nouvelle installation : tracé soigneusement dissimulé, et, pendant les hostilités, postes et service secrets, agens militaires, etc. Nous passerons sur les avantages non moins évidens que présenteraient les réseaux souterrains lorsque le territoire est envahi : continuité et sûreté des communications, mises à l’abri de toute atteinte ; connaissance immédiate, incessante des moindres opérations de l’ennemi, qui peut se croire garanti de toute surveillance et de toute surprise, s’il a renversé les poteaux et coupé les fils du télégraphe ordinaire. C’est là une ressource de plus de valeur qu’il ne semble au premier abord, une ressource dont l’adversaire, quoi qu’il fasse, ne peut trouver l’équivalent, et qui assure à la défensive contre l’offensive un premier élément de supériorité[1]. Nous aurons l’occasion, en traitant du rôle des chemins de fer, de montrer que ce n’est pas le seul, et qu’entre puissances égales l’initiative de l’attaque ou de l’invasion en viendra, grâce au progrès de la guerre, à n’offrir que des désavantages marqués.

Un point resterait maintenant à examiner. La télégraphie civile et la télégraphie militaire doivent-elles être absolument distinctes, ou bien l’établissement des fils souterrains entraîne-t-il la suppression des fils aériens ? N’est-il pas d’une économie bien entendue de faire participer ces derniers aux bénéfices d’une circulation qui exclut toutes les chances ordinaires d’accident, variations atmosphériques ou malveillance ? La question mériterait d’être étudiée, mais nous laissons à de plus compétens que nous le soin de prononcer.

Nous avons hâte d’arriver à l’établissement des communications télégraphiques de l’armée qui envahit. Là le problème se pose différemment : tout est à faire. On comprend sans plus d’éclaircissemens que les troupes qui s’avancent en pays ennemi ne peuvent ni toujours suivre des routes qu’une ligne télégraphique accompagne, ni même utiliser les restes d’un matériel que l’adversaire n’abandonne pas sans l’avoir mis hors de service. Il s’agit donc dans ce cas de créer, dans des conditions particulières de promptitude

  1. Dans la récente guerre, en Italie, après le passage du Mincio par Victor-Emmanuel, quand les éclaireurs du deuxième corps d’armée italien arrivèrent à Villa-franca, ils demandèrent au chef de gare si la position n’était pas reliée par une ligne télégraphique aux places fortes du quadrilatère. Le chef de gare répondit négativement, et dès que les soldats se furent éloignés, il s’empressa de télégraphier à Vérone l’arrivée et la direction des Italiens. Il est difficile d’admettre que l’employé autrichien ait été cru sur parole ; sans doute l’inspection des lieux n’a rien révélé sur l’existence d’un poste télégraphique : les fils devaient être souterrains, et l’appareil complètement dissimulé. Autrement la conduite des Italiens serait aussi incompréhensible que la fraude du fonctionnaire qui a décidé peut-être du gain de l’affaire de Custozza. Que le fait soit ou non authentique, on comprend maintenant quels dangers crée à l’envahisseur un système de transmission électrique invisible, de quel espionnage il permet de l’environner, et comment il peut lui préparer des surprises grosses de conséquences.