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s’engageaient à respecter le territoire paraguayen, moins les parties contestées ; mais ils s’obligeaient à poursuivre la guerre tant que le général Lopez conserverait le pouvoir. Malgré le peu de connaissance que l’on a de l’histoire intérieure du Paraguay, il faut essayer d’examiner si réellement les ressources du pays permettaient au président de concevoir quelques espérances.


II

L’état du Paraguay, sous le nom de république et malgré l’apparence de certaines institutions constitutionnelles, vit en réalité sous un pouvoir entièrement despotique. Avec le titre modeste de président, le chef de l’état tient dans ses mains tous les rouages du gouvernement et de l’administration. Il choisit et révoque à son gré tous ceux qui tiennent les emplois publics, même les magistrats. Il a le commandement de l’armée, dont les officiers de tout grade restent toujours à sa discrétion. Il fait la paix et la guerre. Il édicte des lois qui, s’il le veut, n’émanent que de lui ; il fixe lui-même la quotité, l’assiette et la répartition des impôts, perçus soit en espèces, soit en nature. Parfois il convoque sous le nom de congrès national une sorte d’assemblée délibérante et consent à lui demander une approbation qui n’est jamais refusée ; mais ces réunions ne sont pas périodiques, le président seul en détermine l’opportunité. Les lois pénales comme les lois civiles ne fonctionnent qu’à son gré. L’état a monopolisé jusqu’au commerce et à l’industrie. L’esclavage a été supprimé en 1848, mais pour l’avenir seulement : les enfans d’esclaves naissent libres, leurs pères restent esclaves jusqu’à leur mort. L’institution devenait inutile, puisque le travail de tous était désormais enrégimenté et soumis à une sévère discipline. Un tel système de gouvernement n’est inscrit dans aucune constitution. Jadis un président a reçu la dictature par une sorte de vote national. Il en a usé pour créer l’état de choses qui vient d’être exposé. La nation s’y est facilement pliée, et aujourd’hui l’habitude de la soumission est assez complète pour que la volonté de celui qui gouverne ou l’intervention étrangère puissent seules désormais mettre des bornes à ce pouvoir exorbitant. Ce n’est pas sans étonnement que l’on voit à côté des populations argentines, si turbulentes et si peu disposées à l’obéissance, un peuple, soumis autrefois comme elles à la domination espagnole et qui l’a secouée à la même époque, accepter sans impatience le joug de l’absolutisme le plus complet. Ce contraste ne s’explique que par la différence des races et par suite du caractère et des sentimens. Les premiers Espagnols qui pénétrèrent dans la Plata remontèrent à la