Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 65.djvu/302

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Vous voilà donc revenue ? dit Jane.

—- Oui, répliqua mistress Cameron, et justement je vous cherchais. Où logez-vous ?

Jane le lui ayant dit : — Nous irons ailleurs, continua sa mère… Je ne veux pas tant de monde autour de moi… Quel paquet avez-vous là ?

— C’est mon enfant.

— En vérité !… vous avez déjà fait tout ce chemin ?… Je pensais bien que vous tourneriez mal… Où est le père ?

— En prison pour sept ans…

— Pauvre petite, vous n’avez guère de chance !… Allons causer de tout ceci… Un verre de whiskey nous fera du bien à toutes deux.

Mistress Cameron, quand le whiskey eut délié sa langue, ne fut point avare de confidences. Son homme l’avait trahie, abandonnée. Il était parti pour l’Amérique avec une jeune fille dont il eût pu être le père, et sans le moindre avis ni le moindre adieu. Par suite de cet incident, elle était allée tout d’abord habiter Perth, puis Aberdeen, laissant s’éteindre à Glasgow le souvenir des poursuites entamées contre elle. L’amour de la terre natale maintenant l’y ramenait ; peut-être aussi un vague désir de savoir ce qu’était devenue sa fille. Du reste, pas un mot d’explication sur le brusque abandon de cette pauvre créature, qui de son côté n’imagina pas de s’en plaindre. Ce fut très simplement, pour compléter son récit, que mistress Cameron dit à Jane : — Vous savez qu’il ne vous aimait guère, notre homme. Il ne voulut jamais entendre parler de vous emmener avec nous.

La mère et la fille vécurent quelques jours en assez bons termes dans le close où leurs pénates étaient transférés. Elles avaient, d’un commun accord, « repris les affaires, » et vous devinez ce qu’elles entendaient par ce mot. Seulement pour ce genre d’opérations, qui demandé le moins de bruit possible, l’enfant créait des embarras considérables. Mistress Cameron suggéra divers expédiens plus ou moins acceptables, que Jane écartait les uns après les autres. Elle ne voulait à aucun prix se séparer de son bairn[1], et s’inquiétait de voir avec quelle lenteur il se développait par rapport aux autres maillots de son âge. Elle eut enfin le mot de l’énigme un soir que, rentrée à l’improviste, elle surprit mistress Cameron administrant au pauvre petit une boisson stupéfiante. Jane le lui arracha des mains avec de vifs reproches et passa le reste de la nuit à le bercer

  1. Expression écossaise, forme corrompue du mot born ; baby pourrait bien en être le diminutif caressant.