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puisque ni la prière ni les sermons ne l’avaient rendue meilleure, elle comptait n’en user que pour la satisfaction d’autrui, s’efforçant même de penser à autre chose pendant que le chapelain et la Scripture reader s’efforçaient de la persuader. Ils pressentirent cette résistance obstinée, ce défi intérieur, et se réduisirent tout naturellement à obtenir ce que Jane n’avait aucune envie de leur contester, une déférence purement extérieure, les semblans de repentir, les vaines promesses de mieux faire, que bien peu de nos convicts refusent à leurs gardiens spirituels. Au fond, elle était si peu convertie que, dans ses longs entretiens avec sa compagne de cachot, elles convinrent de s’embarquer ensemble pour l’Amérique aussitôt que la liberté leur serait rendue. New-York leur semblait un théâtre digne d’elles, et la police transatlantique passe à bon droit pour très indulgente ou très maladroite. Sur ces entrefaites, notre prisonnière reçut par l’intermédiaire des autorités de la prison, et après qu’elles en eurent pris connaissance, une lettre de mistress Cameron. Celle-ci annonçait son prochain départ pour les États-Unis et demandait à prendre congé de sa fille. Jane se hâta de solliciter l’autorisation requise et l’obtint sans difficulté. Les deux femmes se revirent en présence d’un tiers, conformément à la règle, et mistress Cameron, que sa fille avait eu peine à reconnaître sous des vêtemens à peu près corrects, ne voulut s’expliquer qu’avec force allusions et réticences sur les motifs de son expatriation. — Le bonhomme, disait-elle, une fois à New-York, a fait bail d’une nouvelle existence… Ses affaires vont bien et réclament impérieusement mon secours. Il reconnaît ses erreurs et m’appelle auprès de lui… Grâce aux regards d’intelligence qui accompagnaient cette phraséologie énigmatique, Jane crut comprendre qu’il s’agissait, pour l’homme qu’elle avait longtemps regardé comme son père, d’exercer à New-York l’industrie passablement ambiguë qui naguère les faisait vivre à Glasgow. Les réponses évasives qu’elle obtint de sa mère quand elle s’enquit de l’adresse où elle pourrait lui écrire la confirmèrent dans cette idée. — Soyez tranquille, répondit mistress Cameron, nous ne vous laisserons pas sans nouvelles,… et, s’il y a lieu, vous serez conviée à venir nous joindre… Quant à notre adresse là-bas, croiriez-vous bien que je ne la sais pas encore moi-même ?…

Ce mensonge bien évident n’empêcha point Jane de ressentir, beaucoup plus vivement qu’elle ne s’y attendait, une séparation qui menaçait d’être longue et que rien n’empêchait de devenir définitive ; ses pleurs, ses sanglots étonnèrent mistress Cameron, qui avait conscience de ne mériter point pareils regrets, et qui n’avait pas prévu tant de faiblesse chez une créature aussi bien trempée.