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interminables auxquels tout captif s’abandonne. Après le double retour de quatre longues saisons, elle les revit enfin ; mais ce jour-là elle eut beau s’enquérir de Mary Loggie, personne ne sut lui dire ce qu’elle était devenue. Différens bruits couraient sur la brusque disparition de la fille du receleur. Quelques personnes la disaient effectivement mariée et partie pour l’Angleterre avec son mari ; d’autres pensaient qu’elle avait tout simplement cherché fortune par-delà les ponts, chez ces voleurs de rivière à qui la négligence proverbiale des matelots procure parfois, sur les points de débarquement, de merveilleuses aubaines. Peut-être aussi avait-elle péri dans une rixe ignorée. Ses sœurs, ses frères eux-mêmes en étaient réduits à ces Conjectures incertaines. Après de vaines recherches, il fallut bien prendre son parti, et Jane, comme elle l’avait pressenti, prévu, décidé d’avance, rentra dans la voie fatale où elle se croyait irrévocablement engagée. Les conseils de sa compagne de cellule, femme d’âge et d’expérience supérieure, n’avaient pas été perdus pour elle, et maintenant elle étonnait ses anciens associés par son excessive prudence. Il en est presque toujours ainsi au sortir d’une prison, ce qui prouve qu’on n’a pas grande envie d’y retourner. Ne marchant plus qu’avec d’extrêmes précautions, Jane perdait beaucoup de chances et vivotait misérablement. Il n’en fut pas de même lorsque Annette Ryan, au sortir de la geôle qu’elles avaient habitée ensemble, fut venue la rejoindre comme elle le lui avait formellement promis. Celle-ci manœuvrait avec une adresse consommée, et passée maîtresse en fait de travestissemens, déplaçant toujours à propos ses mobiles pénates, déjouait toutes les rubriques de la police. Les deux alliées se tiraient donc assez bien d’affaire, en attendant la catastrophe presque inévitable qui devait décider du sort de Jane.

Ce fut pendant ce court répit de la mauvaise fortune que, passant un beau matin sur le pont Hutcheson, elle vit arriver vers elle, sous un costume simple, mais décent, et qui annonçait une certaine aisance, cette ancienne amie dont elle avait en vain cherché la trace. Mary Loggie, baissant les yeux, passa son chemin. Jane, qui ne la reconnut tout à fait qu’après qu’elle eut passé, s’arrêta et se retourna pour la suivre du regard. Saisie de je ne sais quel remords, l’autre se retournait aussi au même moment. Il n’en fallait pas davantage pour que, revenant sur leurs pas, elles échangeassent une affectueuse poignée de main. Suivirent les récits, les confidences mutuelles. Mary, tout aussi étonnée que Jane de la bizarre rencontre qui l’avait promue au rang des honnêtes femmes, lui raconta comment le hasard l’avait placée sur le chemin d’un brave ouvrier anglais dans des circonstances qui permettaient à celui-ci