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par se laisser convaincre. On eût dit qu’une fascination vengeresse ramenait Jane irrésistiblement vers le lieu où sa destinée devait s’accomplir.

Le close qu’ils allèrent habiter était un des repaires les plus dangereux. On arrivait par un passage voûté dans un vrai labyrinthe de ruelles étroites. Au fond de l’une d’elles, une maison ténébreuse, d’où ne filtraient au dehors aucune lumière et presque jamais aucun bruit. Sur l’escalier des nattes épaisses qui le rendaient muet. Au-dessus des greniers vides, pratiqué avec art dans la carcasse même du toit, un vaste dépôt où disparaissait en un clin d’œil tout objet suspect. Une des fenêtres supérieures, ordinairement ouverte, donnait passage à une perche dont l’extrémité posait sur l’appui d’une baie pratiquée dans le mur opposé. Sur cette perche, quelques haillons s’étalaient en permanence et semblaient guetter au passage un rayon de soleil. En réalité, cette perche, qui affectait un faux air de séchoir, était un pont jeté dans l’espace, en travers d’une petite cour intérieure. C’est par là qu’au besoin, toute autre issue lui faisant défaut, un bandit pris au gîte pouvait s’éclipser en quelques secondes et se trouver dans la maison voisine, elle-même pratiquée de manière à faciliter sa fuite. Barney et sa compagne étaient installés dans une des chambres du haut. Les autres se garnirent peu à peu de leurs affiliés, de leurs complices ordinaires. La maison devint une véritable caverne, sans rien perdre de sa tranquillité habituelle. D’un commun accord, on n’y élevait jamais la voix, on évitait de s’y quereller, toute orgie en était exclue. On n’y buvait que pour affaires, c’est-à-dire pour tenir tête à l’étranger qui s’était fourvoyé là sur les pas de quelque sirène. Des jeunes femmes vouées à cet odieux emploi, Jane était sans contredit la plus experte. Aucune ne s’entendait mieux à simuler l’embarras craintif, la timidité provoquante, la curiosité qui se dérobe avec un secret désir d’être devinée et suivie. Quand un complice aposté lui jetait au passage un reproche et la menaçait de la dénoncer à sa mère, elle savait jouer la frayeur, et ne se laissait rassurer qu’à bonne enseigne. Encore fallait-il éviter les rues fréquentées, les zones lumineuses, chercher au contraire les endroits déserts et les ténèbres propices. La conversation entamée dans High-street se continuait sous le porche voûté de Tontine-close, et de là chez Black-Barney nous savons qu’il n’y avait pas loin. Jamais, de son propre aveu, Jane n’avait été si profondément pervertie. Son endurcissement ne laissait place à aucun remords. Encouragée, flattée, secondée par son abject entourage, elle était fière de ses odieux succès, enivrée de l’impunité qu’elle croyait s’être assurée à jamais. Il était temps que le châtiment vînt