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judicieusement choisis ; mais il fallait les faire accepter par le légat et le laisser discuter leurs titres à l’indulgence du saint-père. C’était un partage d’autorité, c’était aussi un retard, choses également antipathiques à son impétueuse nature. Il avait résolu de mener du même pas la paix politique et la paix religieuse. Il pensait que la publication du concordat, pour avoir chance d’être mieux reçue de ceux qui lui faisaient obstacle, devait suivre immédiatement la signature du traité d’Amiens. Il avait donc arrêté dans sa pensée d’écarter, n’importe à quel prix, les difficultés qui entravaient, si peu que ce fût, sa marche triomphale. Arrivé au faîte de la puissance et dans le plein éclat de sa gloire, il ne lui en coûtait point, afin de vaincre la modeste résistance d’un timide vieillard, de recourir à l’emploi d’une suite de perfidies vulgaires qui, si elles avaient été révélées à ses contemporains, n’auraient pas laissé que d’entamer tant soit peu auprès des âmes élevées le prodigieux prestige dont il était alors généralement environné.

On était au samedi 27 mars ; le cardinal Caprara venait d’écrire le matin même à sa cour pour lui faire savoir que le lendemain dimanche, suivant l’ancien usage des légats de France, il devait se rendre à Notre-Dame accompagné de toutes les personnes de sa légation, comme si c’était le jour de son entrée à Paris, afin d’y réciter les prières accoutumées. Il lui annonçait avec une satisfaction non moins visible qu’à partir du 1er avril il recevrait officiellement les autorités constituées ; le 5 avril, il devait enfin être présenté en audience publique au premier consul, après quoi il consacrerait dans l’église métropolitaine l’archevêque nommé de Paris et quelques-uns des nouveaux évêques. Il était en train de prendre à cet effet les dispositions nécessaires, lorsque vers cinq heures de l’après-midi on lui annonça la visite du conseiller Portalis et de l’abbé Bernier, qui demandaient à le voir de la part du premier consul.

M. Portalis était chargé de dire au légat « qu’à la cérémonie du lendemain, c’est-à-dire au Te Deum qui allait être chanté pour rendre grâces au Seigneur de la conclusion de la paix, c’était l’intention des consuls de faire intervenir les ecclésiastiques des deux clergés aussi bien ceux qu’à Rome on appelle les légitimes que les membres du clergé constitutionnel[1]. » À cette proposition, grand émoi de la part du cardinal-légat. « Je n’eus pas de peine à démontrer à M. Portalis que la proposition dont il était porteur était inacceptable et contraire aux principes de la religion qu’il professe lui-même. » M. Portalis se montra convaincu, ajouta le cardinal,

  1. Correspondance du cardinal Caprara, 4 avril 1802.