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proposition d’admettre les constitutionnels à la cérémonie de demain ;… j’en avais exprimé à l’avance mon sentiment à M. Portalis : c’est pourquoi j’ai concerté avec lui la réponse que votre éminence pourrait faire au premier consul. » Et tout aussitôt tirant de sa poche un papier qu’il donna à lire au légat : « Le contenu de ce papier ne peut blesser le moins du monde vos sentimens, ni porter atteinte à vos devoirs. Il est très probable que le premier consul, trouvant mêlées à votre refus des expressions qui sont selon son cœur, la chose s’arrangera d’elle-même. » Or cette pièce rédigée d’avance que l’abbé Bernier présentait à la signature du légat n’était autre chose que la reproduction à peu près textuelle des cinq propositions naguère apportées par M. Portalis, propositions auxquelles le cardinal avait eu tant de répugnance à donner par écrit une approbation formelle : mais il était maintenant un peu épuisé par la lutte qu’il venait de soutenir. « Me voyant, écrit-il au cardinal Consalvi, réduit à la dure alternative ou de risquer de tout ruiner, ou d’adopter un moyen qui était de nature à diminuer la bourrasque, je me retournai vers l’abbé Bernier, et je lui dis : Puisque vous avez eu le temps d’examiner cette pièce à loisir, et non comme moi en un moment de presse, si vous me donnez en conscience votre parole qu’elle ne contient rien qui blesse nos principes et nos maximes, je ne vois point de difficulté à la transcrire et à vous la remettre signée de ma main, dans la seule vue d’éviter un péril que tous deux vous êtes d’accord pour me faire appréhender comme si éminent et si funeste[1]. » Peu d’instans après, l’abbé Bernier faisait savoir au légat que le premier consul, ne voulant pas que la cérémonie se fît avec un nombre d’ecclésiastiques trop restreint, avait décidé de la remettre jusqu’au moment de la ratification de la paix.

À la fin de cette journée, la plus orageuse, dit le malheureux légat, qu’il eût encore passée depuis son séjour en France, le cardinal Caprara était encore en mesure de mander à sa cour que sur les trente-deux évêques désignés pour les nouveaux sièges épiscopaux, il n’y en avait, à sa connaissance, aucun de pris parmi les constitutionnels. N’y en aurait-il point parmi les vingt-huit qui restaient à choisir ? Il n’en savait encore rien, mais il commençait à l’appréhender beaucoup. S’il avait mieux pénétré le caractère de celui à qui il avait affaire, le ministre du saint-siège pouvait dès lors tenir pour assuré que ces choix étaient décidés. C’était pour se mettre en règle vis-à-vis du saint-siège que le premier consul, aussi prudent que tenace en ses desseins, avait voulu faire signer au légat la pièce dont il avait muni d’avance l’abbé Bernier. À défaut

  1. Correspondance du cardinal Caprara, 4 avril 1802.