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de sa présence à la cérémonie de Notre-Dame qui aurait définitivement compromis le cardinal Caprara avec le parti des constitutionnels, le premier consul avait du moins en ses mains l’attestation officielle que la cour de Rome ne niait pas leur aptitude à être pourvus de la dignité épiscopale. Il n’attendait pas autre chose pour déclarer les nominations dont le cardinal-légat allait, bien à tort, se montrer si surpris. Trois jours après, Caprara en apprenait la nouvelle de la bouche même du premier consul dans une audience qu’il avait sollicitée pour le féliciter de la publication de la paix. Aux premiers mots prononcés, le cardinal, à moitié interdit, rappela à son interlocuteur les espérances qu’il lui avait tant de fois données, et les efforts tentés directement par le saint-père pour éviter un si grand scandale, et la douleur que de pareils choix lui causeraient. Enfin il laissa voir, dit-il, toute l’angoisse que cette détermination inattendue lui causait. Le premier consul y coupa court. « Il est tout à fait inutile, dit-il, de parler de cela à l’avenir ; mon parti est pris, ma résolution bien arrêtée : ou ceci ou rien. Il y aura dix constitutionnels, dont deux seront archevêques, les huit autres, évêques[1]. » Caprara demeura atterré. Il tenta un dernier effort pour faire entrevoir au premier consul les conséquences funestes, selon lui, de sa résolution ; il chercha surtout à l’attendrir en lui parlant des égards qu’il avait toujours voulu témoigner à sa sainteté. Tout fut inutile. Le légat se débattait encore et devenait de plus en plus pressant lorsque un incident inattendu pour lui vint mettre, dit-il, le comble à sa douleur et à son embarras. M. Portalis, qui jusque-là s’était montré on ne peut plus opposé aux constitutionnels, à ce point qu’il n’en avait pas inscrit un seul sur les trois listes qu’il avait remises au premier consul, « commença à se montrer le défenseur acharné des constitutionnels, et pour me servir de l’expression vulgaire accoutumée, ajoute le cardinal, renchérit encore sur la marchandise[2]. »

Contre ses deux contradicteurs, le légat n’était plus de force, car au bout de tous les discours du premier consul revenait toujours le même refrain. « Ou ceci ou rien. Le pape l’a promis, le pape tiendra parole, s’il veut que le concordat soit publié[3]. » Le légat désespéré demanda en grâce et avec larmes, si l’on ne voulait pas renoncer aux constitutionnels, que l’on consentît au moins à n’en pas nommer autant ; cela même lui fut refusé. Alors le cardinal, qui avait, suivant ses propres expressions, pris du cœur en parlant, obéit à

  1. Correspondance de Caprara, 4 avril 1802.
  2. Ibid., n° 98 (4 avril).
  3. Ibid.