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marine, une harpe du Laos, plus dix trompettes et dix tambours siamois. On verra quelle progression inquiétante était destiné à subir le nombre de ces tambours dans la composition des trois musiques qui devaient se relayer sur notre route. En abordant au palais, le cortège mettait pied à terre et changeait de caractère. Douze cavaliers ouvraient la marche ; cent soldats vêtus et armés à l’européenne les suivaient avec tambours et clairons, plus quarante hommes vêtus à la siamoise et armés de fusils, et vingt satellises avec faisceaux de verges. La seconde musique, qui venait ensuite, comptait deux conques marines, deux harmonicas, une guitare, un grand tambour, dix trompettes et trente petits tambours. Après cette avant-garde, cent hommes vêtus en « anges siamois » précédaient un palanquin porté par huit hommes et destiné à la lettre impériale, qu’un palanquin plus petit que le précédent avait reçue au sortir de la barque. Un parasol à bout en or devait être porté à côté de l’auguste missive, à la garde de laquelle était préposé un ange siamois assis sur le palanquin, outre une escorte spéciale de dix mandarins en habits de cérémonie, et dix-sept personnes vêtues avec magnificence, portant chacune un parasol royal à étages. Des chaises destinées au consul, au commandant et aux officiers fermaient la marche, accompagnées de porteurs de parasols. Enfin une troisième musique devait nous attendre dans l’intérieur du palais ; elle était composée de deux cent deux instrumens, parmi lesquels deux grands tambours, vingt tambours siamois dorés, vingt argentés, cent vingt tambours rouges et trente-six trompettes ! Quant au détail de l’audience, tout y était minutieusement prévu, quand le consul devait s’avancer, quand se reculer, quand s’asseoir et comment. Bref, la rédaction de ce véritable manuel d’étiquette internationale n’occupait pas moins de quatre grandes pages, et se terminait par ces mots solennels : « ainsi est réglé depuis les temps les plus reculés le cérémonial de la cour de Siam. »

Le programme tracé avec une si scrupuleuse exactitude fut suivi de point en point, et le cortège de barques produisit sur le fleuve un effet des plus pittoresques… à distance. De prés, s’il faut tout dire, les dorures étaient un peu ternies, les draperies un peu fripées, et les vêtemens des rameurs quelque peu en guenilles. En revanche, les soldats qui formaient la haie à terre, depuis le débarcadère jusqu’au palais, rappelaient volontairement ce que devait être il y a deux mille ans la physionomie des armées de Porus ou d’Artaxerxès. Certains corps étaient armés de piques, d’autres de lances, d’autres d’arcs ou d’arbalètes, ou même de frondes : je me souviens entre autres d’un curieux corps de montagnards, aux arcs interminables, vêtus de longues chemises blanches qui