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suzeraineté à la cour de Hué, s’en fit reconnaître gouverneur, et transmit à sa mort son autorité à son fils Mac-tôn. Peu d’années lui avaient suffi pour organiser des troupes régulières, pour élever des citadelles, percer des routes, fonder des marchés et nouer de nombreuses relations commerciales. En même, temps des lettrés chinois venus du Fo-kien rédigèrent d’élégantes descriptions des plus beaux sites de la province, et donnèrent de la sorte, grâce à la popularité de ce genre de compositions littéraires, une véritable réputation à un coin de terre ignoré jusque-là. Il en fut ainsi jusqu’en 1772. Malheureusement en cette année néfaste les Siamois envahirent Hatien sous la conduite de leur roi Phaya-Tak, et se rendirent maîtres du pays jusqu’au-delà du Cambodge. Hors d’état de résister (cela, dit le chroniqueur, lui eût été aussi difficile que de mordre son propre nombril), Mac-tôn dut aller chercher du secours à Saigon, et ne parvint à faire la paix qu’après deux années de guerre ; mais les ravages de l’ennemi avaient été tels que la plupart des villages étaient déserts et le sol partout dévasté. Hatien ne s’est pas relevée de ce désastre, et, quoiqu’un canal intérieur reliant le port au fleuve du Cambodge permette d’en faire un utile débouché d’exportations, elle a perdu toute importance commerciale aujourd’hui.

Si le port siamois de cette côte, Chantabon, n’est guère plus considérable qu’Hatien, au moins l’état actuel n’y contraste-t-il pas avec l’affligeant souvenir d’une prospérité disparue. Située à quelques milles dans l’intérieur et pittoresquement échelonnée sur les bords d’une jolie rivière, la ville compterait, dit-on, de 10 à 12,000 habitans, chiffre probablement fort exagéré. A l’entrée de la rade, certains rochers, aperçus sous un point de vue, particulier, présentent l’aspect très remarquable d’un lion couché ; tête, gueule, crinière, oreilles, rien n’y manque, l’illusion est complète. Les champs de poivriers qui entourent les maisons, et les rizières qui s’étendent jusqu’au pied des montagnes, montrent quelles sont les cultures les plus importantes du pays. Pour nous, le principal intérêt de Chantabon gisait dans le caractère particulier et touchant de la mission française, qui y est établie depuis plus de cent ans. Composée d’Annamites venus pour chercher en ce point écarté un asile contre les guerres qui désolaient la Cochinchine au siècle dernier, cette petite communauté de 1,100 âmes a non-seulement su maintenir son individualité au sein d’une population dix fois plus nombreuse, mais, grâce aux soins assidus des missionnaires, sa position s’est peu à peu améliorée, et elle est relativement satisfaisante aujourd’hui. Le vénérable père Ranfaing, doyen de la mission de Siam, dirige cette chrétienté depuis 1838. Économisant d’année en année sur ses modestes ressources, il a trouvé moyen de faire sortir de