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les mêmes ressources ? L’erreur serait grande de ne pas distinguer entre des talens si dissemblables au fond malgré l’analogie des formes employées, et d’attribuer par exemple à tel contemporain ou à tel élève de Duccio ce qui n’appartient en réalité qu’à ce maître, le plus éminent de beaucoup et le mieux inspiré de l’école.

Les ouvrages de Duccio qui ont survécu sont malheureusement en bien petit membre. Une Vierge glorieuse ornant aujourd’hui, ainsi qu’une série de vingt-six scènes de la Passion, la cathédrale de Sienne, — deux tableaux, à l’Académie des beaux-arts de cette ville, représentant chacun une Vierge entourée de saints, — quatre ou cinq autres tableaux de sainteté disséminés, loin de l’Italie, dans quelques galeries publiques, — voilà peut-être les seuls élémens d’information, les seuls documens authentiques qui nous restent. C’en est assez toutefois pour donner la mesure de ce rare talent et pour assurer à l’artiste qui a fait ainsi ses preuves une des premières places dans l’histoire de la renaissance italienne. Giotto excepté, aucun peintre de l’époque aurait-il su, dans ces scènes successives de la Passion, se conformer aussi bien aux exigences de chaque sujet, varier avec cette sûreté de sentiment et de goût l’ordonnance de chaque tableau, les intentions exprimées par chaque groupe ou chaque personnage, depuis la joyeuse indiscipline de la foule qui précède Jésus dans l’entrée à Jérusalem jusqu’à la gravité des disciples symétriquement rangés à sa suite et alignés comme pour une escorte triomphale, jusqu’à ce mouvement de surprise terrifiée que font les saintes femmes en face du tombeau vide et de l’ange qui leur en dit les miraculeux secrets ? Giotto lui-même aurait-il mieux peint la figure de cet ange, — une des plus belles, il est vrai, de la série, — ou en général plus ingénieusement combiné des lignes, ajusté des draperies, résolu toutes les difficultés matérielles de la mise en scène et de l’exécution proprement dite ? Il est permis d’en douter ; mais en dehors de ces mérites jusqu’à un certain point scientifiques, à ne considérer que la force spontanée et personnelle, la franche originalité des inspirations, Giotto garde sur le seul rival qu’on pourrait être tenté de lui opposer une supériorité incontestable.

Duccio en effet, si riche qu’il soit de son propre fonds, ne dédaigne pas toujours d’emprunter quelque chose à autrui. Sa manière, sans aucun mélange d’ailleurs du style et des procédés florentins, cette manière caractéristique, toute siennoise par le choix des types, par l’élégance un peu tourmentée du dessin et la fermeté un peu âpre du coloris, semble proclamer l’indépendance du génie national et protester contre les faits extérieurs qui tendraient à la compromettre ; mais, tout en récusant ainsi les exemples