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de quels trésors le patrimoine de l’humanité se trouverait ainsi appauvri ; mais avec ce qui subsiste des découvertes primitives les principes du beau et du vrai seraient du moins indiqués sans équivoque et jusqu’à un certain point définis. Il y aurait là des leçons assez nettes, des exemples assez éloquens pour instruire la postérité et lui inspirer le goût des grandes choses ; il y aurait de quoi nous faire pressentir à tous, gens du métier ou hommes du monde, les conditions essentielles de l’art, les lois nécessaires qui le régissent et les franchises qui lui appartiennent. On se tromperait donc en prétendant reléguer des enseignemens aussi généralement profitables dans le domaine réservé aux spéculations des érudits, et les artistes en particulier qui se détourneraient de pareils secours ne réussiraient peut-être pas à en rencontrer ailleurs de plus utiles, même en face des spécimens achevés du talent, même en face des irréprochables chefs-d’œuvre.

Ne saurait-on dire en effet sans paradoxe que le spectacle de la perfection dans l’art, « si plein, comme l’écrivait Poussin, de divertissement et de délectation pour l’esprit, » n’est pas toujours, au point de vue de la production personnelle, le plus encourageant et le plus fécond ? Comment un sentiment d’admiration absolue pour les inventions d’autrui stimulerait-il chez celui qui l’éprouve le désir d’inventer à son tour et d’engager une lutte dans laquelle il se sait vaincu d’avance ? Au lieu de songer à faire ses preuves pour son propre compte, il sera plutôt tenté de recourir à la contrefaçon et de répudier, en raison même de sa confiance dans les beautés qu’il a devant les yeux, toute arrière-pensée d’influence future, toute ambition d’autorité. On ne peut guère que copier Raphaël ou Léonard, parce que chez ces deux grands maîtres l’harmonie de toutes les qualités est si parfaite qu’elle ne laisse place nulle part à une modification quelconque des formes choisies ou au développement des sentimens exprimés. En prétendant s’inspirer de leurs exemples, on se condamnera fatalement à en transcrire la lettre, à moins de posséder soi-même l’esprit qui les animait l’un et l’autre, et de trouver, comme eux, l’originalité dans la mesure, la force dans l’équilibre des plus délicates facultés.

Avec des modèles voisins des origines de l’art, ce danger d’une imitation textuelle n’existera plus qu’autant qu’il y aura chez ceux qui les étudieront une intention préconçue et systématique, un véritable parti-pris d’archaïsme. Rien de plus facile que de séparer ici le fond de la forme, de compléter par la pensée ces esquisses pour ainsi dire d’idées générales, d’en approprier les indications succinctes aux exigences de l’instinct et du goût personnels. Les moyens d’expression employés gardent encore une telle simplicité