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rayonner dans toutes les directions, elle reste maîtresse des vallées de l’Adige, de la Piave, libre de déborder de toutes parts, de tomber sur les flancs des armées qu’elle pourrait avoir à combattre. Deux écrivains militaires, deux généraux italiens, les frères Mezzacapo, en étudiant cette question, ont dit justement : « Ce qu’il faut avant tout avoir en vue dans la défense générale des Alpes, c’est de se soutenir sur les frontières centrales. Le passage des Alpes centrales une fois emporté, toutes les forces employées à la défense d’une autre partie de notre frontière alpine pourraient se trouver coupées du Pô. » Mais, pour se soutenir sur ces frontières centrales dont parlent les généraux Mezzacapo, il faudrait d’abord les avoir, et, ne les ayant pas, il faudrait y arriver. On a vu il y a peu de temps comment cela était facile.

Que la Suisse possède certains passages des Alpes qui à la rigueur sembleraient destinés à dépendre plutôt de la péninsule, l’Italie n’a point évidemment à s’en émouvoir ; elle a mieux à faire qu’à se créer des difficultés avec la Suisse pour un fétichisme puéril de nationalité ou par amour platonique pour les frontières naturelles. N’ayant rien à craindre, elle n’a point à disputer sur une limite indécise. Quand des passages des Alpes plus nombreux, bien autrement dangereux, restent entre les mains de l’Autriche, c’est-à-dire d’une des principales puissances militaires de l’Europe, qui hier encore se servait de ces positions formidables pour étendre sa domination sur la péninsule, la question change certainement de face. Ce n’est plus un médiocre avantage de territoire entre les mains d’un pays neutre, commercial et libre : c’est l’élément survivant d’une puissance offensive, c’est une menace faite pour entretenir une perpétuelle inquiétude ; c’est le germe d’une méfiance invincible entre les deux peuples, entre les deux gouvernemens qui se rencontrent sur ces gradins alpestres ; c’est en un mot la paix sans sécurité. Voilà toute la question. Si l’Autriche a pris son parti sans arrière-pensée de la perte de ses possessions italiennes, pourquoi tiendrait-elle absolument à une petite population de 300,000 âmes dont elle sera obligée encore de violenter les instincts et les intérêts. Elle peut sans effort, sans sacrifice d’orgueil et de puissance, faire à l’Italie une frontière qui suffise à sa défense. Elle supprime une cause d’inimitié, et elle se crée la possibilité d’une alliance précieuse ; elle ouvre une ère de rapports nouveaux entre l’empire autrichien et l’Italie nouvelle. S’obstiner dans une position qui par elle-même est une menace, c’est laisser cette impression qu’elle conserve une arrière-pensée, qu’elle ne garde les portes de l’Italie que pour attendre le moment d’y rentrer, qu’elle n’a point renoncé à cette vieille idée, que la possession des passages des