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M. de Sybel sont les idées et le ton du grand libéralisme allemand que nous n’avons jamais cessés de dire, qu’une Allemagne unie et fédérative à l’américaine n’inspirerait à la France aucune appréhension, aucune inquiétude. Entre M. de Sybel et nous restent malheureusement les traditions et les procédés d’une monarchie énergique, opiniâtre et ambitieuse.

L’autorité de M. Sybel confirme d’ailleurs les idées que nous avons émises sur la nécessité, devenue manifeste pour la France, d’accroître notre effectif disponible en cas de guerre à cause des proportions qu’ont prises les forces militaires de la Prusse. Il faut augmenter par un remaniement de notre système de recrutement la force défensive de notre pays. En nous avertissant par ses derniers succès de cette nécessité, la Prusse nous a rendu un véritable service et créé à notre patriotisme un nouveau devoir, qui, nous n’en avons nul doute, sera rempli. Nous ne sommes point surpris que notre gouvernement, éclairé par la lumière intime de la responsabilité, ait compris ce devoir sur-le-champ. L’effectif de la France doit être établi sur de telles bases qu’il puisse fournir un million de soldats ; c’est dans ces termes que nous avons posé au lendemain des victoires prussiennes le problème, et c’est dans ces termes, nous n’en doutons point, qu’il sera résolu. Le système militaire prussien est en vérité une forte création de l’esprit moderne ; il est sorti d’une inspiration patriotique de Stein ; il a été l’objet du travail d’une intelligence aussi puissante que celle de Guillaume de Humboldt ; il a été mis d’abord à exécution par un praticien militaire des plus expérimentés, le général Gneisenau. Ce fut le bonheur de cette combinaison d’avoir été conçue et appliquée dans une de ces crises d’infortune nationale qui émeuvent jusqu’au fond de l’âme les peuples destinés à vivre et à grandir. Ce qu’un mélange d’enthousiasme et de stoïcisme patriotique fit en Prusse, l’intelligence raisonnée d’une évidente nécessité politique le fera en France plus aisément. Notre population est trop considérable pour que l’obligation de fournir un million d’hommes en cas de guerre la soumette à des conditions aussi dures que celles qui pèsent sur les populations prussiennes. Le régime actuel de notre recrutement nous procure déjà 600,000 hommes, divisés, comme on sait, en armée active et en réserve, un peu moins de 400,000 hommes pour l’armée active, un peu plus de 200,000 pour la réserve. Pour arriver au million, il n’est besoin que de 400,000 hommes, à qui il s’agit de donner l’instruction militaire, et qui sont à placer dans des cadres. En Prusse, pour arriver au chiffre d’un million de soldats, il faut que toute la population mâle soit soumise à l’obligation du service militaire, et reste pendant dix-neuf ans assujétie à la mobilisation en cas de guerre. Chez nous, pour obtenir le complément des quatre cents mille hommes, on pourrait restreindre la période de mobilisation à dix ans au lieu de dix-neuf. La France possède environ trois millions d’hommes ayant de vingt à trente ans. C’est sur ces trois millions qu’il y aurait à prélever les quatre cent mille hommes qui nous manquent.