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télégramme peut avoir été successivement confié à quatre ou cinq administrations différentes. Dans la plupart des états européens, on a organisé des services rapides et réguliers ; en Turquie il n’en est pas de même. L’indolence nationale n’a pas été vaincue par l’électricité. « Il arrive, écrivait le chef du bureau britannique de Fao, que les employés de Bagdad nous annoncent qu’ils ont 70 ou 80 dépêches en dépôt ; ils nous en transmettent 12 à 15, puis ils se mettent à fumer ou à dire leurs prières. Pendant trois heures, nous n’entendons plus parler d’eux[1]. » Ajoutons à cela que la ligne russo-persane, qui suppléerait souvent à l’insuffisance des correspondans turcs, est interrompue une partie de l’hiver par les neiges, et que le réseau indien, à l’est de Kurrachee, n’est pas plus satisfaisant que le réseau ottoman, à tel point qu’il faut quelquefois 56 heures pour passer une dépêche de Kurrachee à Bombay, et 133 heures de Kurrachee à Calcutta.

La malle de l’Inde, qui part une fois par semaine, n’emploie plus que 24 jours à franchir l’immense distance de Londres à Bombay. Si le télégraphe ne garantit pas que les correspondances qu’on lui confie arriveront beaucoup plus tôt que la malle, il est sans contredit trop imparfait et donne raison aux plaintes qu’on lui a adressées. Voilà un admirable instrument dont le bénéfice est perdu par des causes, il est vrai, qui défient l’habileté des ingénieurs. Ces retards regrettables ont porté atteinte aussi aux intérêts pécuniaires engagés dans l’établissement de la ligne de l’Inde. Pendant les quatre premiers mois de la présente année, le câble du golfe Persique a donné passage à 10,995 messages, qui ont produit une recette brute d’environ 864,000 francs. Le nombre en eût sans doute été bien plus considérable, si le télégraphe avait été capable en cette direction de rendre des services plus rapides. Qu’on compare ce produit à celui du câble de Malte à Alexandrie, qui relie des contrées moins importantes, mais qui ne subit qu’à un moindre degré les mêmes causes de retard. Il y passe 3 ou 4,000 dépêches par mois, bien que l’Égypte n’ait après tout qu’une importance commerciale assez limitée.

Si subtil que soit le fluide électrique, l’application qu’on en a faite aux très grandes distances est encore entravée, on le voit, par des difficultés qui tiennent plutôt à la manière dont on l’a employé qu’aux principes de la science. Comme on devait s’y attendre, la perfection de l’industrie télégraphique est chez chaque peuple proportionnée à sa civilisation ; mais au fond la longueur des parcours, qu’ils soient terrestres ou maritimes, sera toujours une entrave.

  1. Voyez le rapport du comité sur les communications avec l’Inde présenté à la chambre des communes le 20 juillet 1866.