Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 65.djvu/552

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

commerce et de la politique réclament d’ailleurs l’établissement de lignes multiples qui se suppléeront au besoin, et, par la concurrence réciproque, feront baisser le taux actuel des dépêches intercontinentales. Parmi les lignes en projet, on en cite déjà une qui passerait par le Portugal, les Açores et les Bermudes. Peut-être une étude hydrographique ne serait-elle pas favorable à ce projet, car la partie de l’Océan qui entoure les Bermudes a toujours été considérée, à tort ou à raison, comme ce qu’il y a de plus profond entre l’Europe et les États-Unis. D’autres proposent de franchir l’Atlantique en s’appuyant sur l’archipel des Açores et sur les îles de Saint-Pierre et Miquelon. Plus que tout autre, ce projet intéresse la France, non pas parce que ces petites îles sont des colonies qui nous appartiennent, mais surtout parce qu’une voie établie en cette direction favoriserait les correspondances de notre pays avec l’Amérique du Nord. La ligne d’Irlande à Terre-Neuve est l’affaire des Anglais ; celle de la Sibérie et du détroit de Behring profitera aux Russes ; celle des Açores et de Saint-Pierre nous conviendrait mieux. Notons que les câbles n’auraient sur ce parcours qu’une longueur relativement faible, et qu’il paraît y avoir des hauts-fonds qui en rendraient la pose ou la réparation plus facile. Cette ligne présente en vérité tant d’avantages qu’elle sera faite tôt ou tard, à moins qu’elle ne tombe comme tant d’autres, à titre de monopole, entre les mains de concessionnaires malhabiles qui ne sauraient en tirer parti, et empêcheraient de plus adroits d’y réussir.

En somme, à quelque point de vue que l’on envisage l’industrie toute moderne de la télégraphie océanique, on constate qu’il y a depuis quelques années plus de maturité dans les conceptions, plus d’habileté et de savoir-faire dans l’exécution. Cet art si récent a produit de grandes choses en dépit des obstacles considérables que la nature lui opposait. On ne peut demander aux ingénieurs que de persévérer avec prudence dans la voie qu’ils ont tracée, et l’on ne saurait plus dès aujourd’hui marquer de limites à leurs futures entreprises. L’esprit de spéculation, alléché par les bénéfices excessifs de la compagnie transatlantique, ne refusera pas son concours aux projets les plus hardis. Voilà donc une industrie dont la marche paraît assurée. Qui se plaindra que les progrès n’aient point été assez rapides ? Il n’y a pas vingt-cinq ans que l’électricité, réduite à l’office de messager, a transmis sa première dépêche, et cependant elle circule aujourd’hui d’une extrémité à l’autre de l’Europe ; franchissant les mers, elle nous apporte complaisamment les nouvelles de Calcutta et de San-Francisco. Encore un peu, elle fera le tour du monde. Il ne pourra se produire un grand événement à la surface du globe sans que le cœur de la France en palpite le jour même.


H. BLERZY.