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autrefois M. David Sutter, et c’est ce qu’il vient de tenter encore récemment dans un ouvrage intitulé Esthétique générale et appliquée, contenant les règles de la composition dans les arts plastiques. M. David Sutter connaît la philosophie du beau et l’histoire de l’art ; de plus il est peintre et il possède à fond la partie technologique des trois arts du dessin, il a même introduit dans l’enseignement de la perspective des innovations qui ont obtenu l’approbation des hommes compétens. Ainsi il va sans cesse de la pure théorie à la pratique, et il est en mesure de juger si l’une est séparée de l’autre par un abîme, ou si au contraire des relations profondes, essentielles, les unissent étroitement. Au moment où la critique s’alarme à juste titre de l’état d’affaiblissement et de la langueur croissante des arts plastiques, ce livre vient à propos ; mais le principal mérite de l’auteur est d’éveiller la réflexion sur la connexité des règles qui dirigent la main et des principes qui élèvent l’esprit. Là est le sérieux intérêt et comme la nouveauté de son travail. Aussi notre intention n’est-elle pas de le soumettre à une minutieuse analyse ; sans renoncer à en signaler chemin faisant certaines qualités et certains défauts, nous croyons qu’il convient surtout, à l’occasion de cet ouvrage, d’examiner les points importans du sujet, qui se résument dans cette double vérité, aujourd’hui contestée ou méconnue : 1° que la science théorique et la science pratique de son art sont nécessaires à l’homme de génie, et que mieux il les connaît, plus sa puissance est grande et sûre ; 2° que la science technique des arts du dessin a presque toujours sa raison et son fondement dans l’esthétique spéculative, dont elle n’est dans la plupart des cas que le prolongement.


I

On ne saurait se le dissimuler, il y a dans l’atmosphère de notre temps un souffle de fatalisme qui trouble des intelligences d’ailleurs très distinguées. Une certaine critique qui se pique d’observer la réalité, mais qui n’en observe que la moitié et peut-être moins encore, semble prendre à tâche d’abaisser l’âme humaine, de la découronner, en lui ôtant ses facultés les plus nobles et en la subordonnant à l’influence exclusive des forces physiques, chimiques et physiologiques. Frappée des énergies singulières et merveilleusement fécondes que déploie la nature matérielle, étudiée de nos jours avec autant de passion que de succès, cette critique s’exagère de bonne foi l’empire déjà si grand que les agens physiques exercent sur les institutions, sur les arts, sur la civilisation tout entière. Comme.cette pente est rapide, elle y glisse et va jusqu’en bas. Dans notre