Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 65.djvu/592

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fenêtre et contemplait par momens le jardin d’un air boudeur et ennuyé… Quand on se sépara, il était près de minuit. Les Saint-Clémentinois, précédés de leurs servantes portant des falots, reconduisirent Mme Désenclos jusqu’aux Palatries. En chemin, il ne fut question que de Maurice.

— Comme il est devenu aimable, dit la femme du notaire ; il était si maussade autrefois !

— Eh ! eh ! insinua le notaire, Mme de Labrousse le trouvait fort de son goût… Elle s’est mise en frais pour lui.

— Césarine est si coquette ! dit la notairesse.

— Et si inconséquente ! soupira une vieille fille.

— Bah ! répondit le président, c’est une jolie femme qui tire les derniers pétards de son feu d’artifice ; le beau mal quand elle aurait choisi M. Jousserant pour le bouquet !

— Fi ! quelle horreur ! s’écrièrent les dames.

On était arrivé à la porte des Palatries. Mme Désenclos souhaita rapidement le bonsoir à ses compagnons de roule et se hâta de rentrer. Tout dormait dans la maison. Elle gagna la chambre où elle couchait près de sa fille et s’y enferma. Un vif dépit l’agitait. Elle était mécontente de sa soirée, mécontente d’elle-même et des autres. Elle se reprochait d’avoir accueilli Maurice si durement, et elle en voulait à Maurice d’avoir supporté cet accueil avec autant de philosophie. Elle se rappelait les coquetteries de Mme de Labrousse, les complimens et l’entrain de M. Jousserant ; pour la première fois elle se sentait des mouvemens de jalousie. — Les hommes sont étranges ! se disait-elle en arrangeant ses cheveux devant la glace. Comment peut-on s’amouracher d’une femme de quarante ans qui a les cheveux roux et les traits tirés ? — Elle trouvait la conduite de Maurice inexplicable. Quels griefs pouvait-il avoir contre elle ? Elle l’avait reçu froidement à la vérité, mais n’en avait-elle pas le droit après sa fuite de l’autre soir, et d’ailleurs n’aurait-il pas dû deviner que cette bouderie n’était pas sérieuse ?… — Oh ! pensait-elle, si je pouvais seulement avoir avec lui une explication ! — Elle passa une partie de la nuit à songer à Maurice, et le matin, en s’éveillant, elle pensait encore à lui. — Peu à peu et sans qu’elle s’en rendît compte, son premier amour reprenait possession de son cœur, comme certaines plantes aux racines vivaces et profondes repoussent à la place même d’où elles avaient été arrachées : on les croyait mortes, elles n’étaient que mal ensevelies ; le printemps d’après, elles jaillissent tout à coup du sol en jets verdoyans et se mettent à refleurir jusqu’au moment où les sarcleurs, avec le fer et le feu, viennent les déraciner pour toujours.

Maurice était rentré chez lui fatigué et mécontent. La vie de