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elle quitta son mari, arriva près du châtaignier et tout à coup reconnut Maurice… Tous deux rougirent et restèrent silencieux. Le jeune homme s’inclina timidement, et la jeune femme se mit à causer avec sa filleule ; mais au même instant l’orchestre donna le signal d’une nouvelle danse, Simonne partit, et Maurice et Lucile restèrent seuls près de l’arbre.

Ils n’osaient ni se parler, ni se regarder, ni s’éloigner. Maurice affectait un air froid et tenait ses yeux baissés ; mais ses regards suivaient avec avidité les moindres mouvemens des rubans bleus sur la robe de sa voisine. Il savourait silencieusement son bonheur. Les violoneux jouaient un bal ; c’est une danse du pays, une sorte de bourrée où les danseurs, deux à deux, tournent en face l’un de l’autre, tantôt se quittant et tantôt se reprenant. Maurice et Lucile connaissaient bien ce rhythme lent et naïf ; autrefois ils avaient bien souvent dansé le bal ensemble sur cette même brande. En entendant une certaine phrase musicale qui leur rappelait mille souvenirs, ils tressaillirent tous deux, et cette fois leurs regards se rencontrèrent, sourians et humides.

— Aimeriez-vous à danser un bal ? demanda Maurice enhardi.

— Volontiers, répondit-elle simplement.

Ils se prirent les mains et s’élancèrent dans la foule, et comme ils dansaient face à face, les mains dans les mains, les regards confondus, aux sons de cet air rustique, le passé ressuscita pour eux… Tout à coup les violons s’arrêtèrent. — Déjà ! s’écria Maurice. Il me semble que les bals sont plus courts qu’autrefois ; les violoneux nous en ont volé la moitié.

— Si vous voulez, dit Lucile en riant, nous danserons aussi une contredanse !

— Je n’osais pas vous le demander, répondit-il.

Elle le regarda d’un air étonné. — Pourquoi ?… vous osiez bien autrefois !

— Oui, mais il y a cinq ans entre ce temps-là et aujourd’hui… Il s’arrêta, craignant d’en trop dire. Les violons jouèrent une ritournelle, et la contredanse commença.

Dans les intervalles de chaque figure, ils revenaient à leur place, se regardaient rapidement, ouvraient les lèvres pour parler et restaient muets. Ils avaient tous deux mille choses à se dire, et n’osaient commencer : Maurice, parce que la tendresse débordait de son cœur et qu’il voulait l’y renfermer ; Lucile, parce qu’elle se sentait plus embarrassée et plus intimidée qu’elle ne l’avait prévu. Cependant les minutes s’envolaient, et Mme  Désenclos désespérait déjà d’obtenir l’explication qu’elle désirait. Elle se décida donc à parler la première, et dit brusquement à Maurice, sans le regarder : —