Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 65.djvu/61

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fois pour quatorze ans. — Vol nocturne, compliqué d’une tentative d’assassinat, commis de complicité avec un accusé contumace. »

J’avais bien choisi, vous le voyez, l’objet de mes naissantes sollicitudes. Comme vous égare parfois un premier mouvement ! N’importe, Henry Gillespie, cette malheureuse est votre compatriote, et pour cela seul j’aurai l’œil sur elle, je veillerai à ce qu’on use de ménagemens envers ses premières rébellions ; les conseils, les encouragemens ne lui manqueront pas, et ce ne sera pas ma faute en vérité, si, protégée à son insu par un lointain souvenir, elle n’a pas à se féliciter d’être née sur ces bords de la Clyde, que vous décriviez avec un si vif enthousiasme. Vous imaginez bien que je me suis gardée de lui communiquer ce romanesque programme. Elle n’a vu de moi qu’un front sévère, une impénétrable rigidité. Pourtant son regard me suivait encore au moment où on l’emmenait, et ce regard semblait chercher le défaut de la cuirasse qui me protège ou doit me protéger contre toute faiblesse.

Laissons là cette jeune femme, qui dès demain peut-être aura cessé de me préoccuper, et parlons de la vie que je mène ici. J’ai pour garant de votre curiosité à cet égard le désir que j’ai de savoir comment se passent pour vous les pénibles journées de l’apostolat. Vous devez subir de terribles épreuves ; mais vous êtes libre, vous suivez une route qui chaque jour vous met en face de quelque nouveauté inattendue, — aventure, péril, chasse, que sais-je encore ? — Ici rien de tout cela, rien que la règle et la routine quotidienne. La machine dont je suis un des plus humbles rouages marche constamment et à peu près du même train. Aux mêmes heures, les mêmes devoirs, désespérément mécaniques. Le matin, à six heures moins un quart, la garde nocturne, pressée d’en finir avec sa longue veillée, sonne la cloche et réveille la prison endormie. Un quart d’heure après, chaque prisonnière doit être vêtue et attendre, debout au seuil de sa cellule, la revue des matrones. Nous tirons en passant les verrous de la porte intérieure (précédée d’une grille), et on s’assure, d’un premier coup d’œil, que la prisonnière est là, valide et prête à reprendre sa tâche. Ce bruit des verrous, tirés et poussés à brefs intervalles, inaugure tristement la journée. On écoute ensuite le rapport de la matrone qui a fait le service de nuit. Elle signale les incidens qui ont pu se produire. Telle prisonnière a été indisposée ; telle autre a troublé le silence par des cris, des chansons, des excitations à la révolte ; une troisième a nécessité l’intervention des gardiens par une de ces folles tentatives qu’on appelle « un éclat[1], » et qui sont en effet comme l’explosion de quelque

  1. A break.