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mée était étendue sur l’herbe, le sang rougissait sa robe blanche, et ses petites mains conservaient encore des brins de bruyère fleurie. Elle se précipita sur sa fille, la serra convulsivement dans ses bras, et bondit à travers la châtaigneraie en la remplissant de ses cris de détresse. Pendant ce temps, Maurice atterré s’était élancé dans le fourré et cherchait en vain à découvrir le meurtrier…

Madeleine respirait encore. Mme  Désenclos exigea qu’elle fût transportée immédiatement aux Palatries. Un médecin appelé à la hâte examina la plaie et déclara que la blessure était grave et mettait la vie de l’enfant en danger. Lucile passa la nuit au chevet de sa fille. Ce qu’elle souffrit pendant cette veillée, les mots ne peuvent le rendre. Parfois elle sentait sa raison sombrer dans un abîme de pensées tourbillonnantes et désordonnées, parfois aussi une froide lucidité succédait à cet obscurcissement, et elle s’interrogeait avec horreur. Que répondrait-elle à son mari, lorsqu’à son retour il trouverait sa fille mourante ? Les détails du meurtre ne resteraient pas longtemps ignorés. Une seule personne avait pu tirer le coup de fusil, — Chantepie. L’ancien braconnier avait son secret, et, une fois pris, il ferait des aveux ; les gens de la Commanderie d’ailleurs avaient sans doute aperçu Maurice, et ils parleraient ; partout elle voyait se dresser des accusateurs. Son honneur était perdu, et sa fille était mourante ; il lui semblait que sa vie s’écroulait de tous côtés à la fois. Elle se penchait alors sur le lit de l’enfant et couvrait de larmes et de baisers ses petites mains, puis elle se levait, parcourait la chambre en proie à une pénible agitation nerveuse, et quand, physiquement brisée, elle retombait sur sa chaise, une agitation morale plus douloureuse encore venait torturer son âme.

Le lendemain, M. Désenclos et Mme  de Labrousse arrivèrent en même temps à la Commanderie et apprirent ensemble la triste nouvelle. On leur donna rapidement les détails confus qu’on avait pu saisir à travers les paroles désespérées de Lucile ; M. Désenclos les écouta à peine du reste et courut aux Palatries. En entendant le son de sa voix dans l’escalier, Lucile, anéantie par les angoisses de la nuit, sentit son cœur cesser de battre, ses genoux ployer, et tomba sans connaissance. On l’emporta dans sa chambre, et M. Désenclos alla s’asseoir près de sa fille et ne la quitta plus. Quand Lucile revint à elle, on lui apprit que le médecin redoutait une inflammation cérébrale. Elle se traîna près de l’enfant et se tint cachée derrière les rideaux, osant à peine lever les yeux sur son mari, placé de l’autre côté du lit. Absorbé dans sa douleur et comme pétrifié, M. Désenclos se contenta de faire un geste de la main pour lui recommander le silence, et s’abîma de nouveau dans la contemplation de sa fille bien-aimée.