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volcan intérieur, le dernier mot de l’ennui et de l’obéissance forcée. Ensuite la vie recommence. Sous les ordres d’une matrone, un certain nombre de femmes vont gratter et balayer les dalles de chaque ward. Nos meilleurs « sujets, » — en très petit nombre, — font nos lits et mettent nos chambres en bon ordre. Les cellules cependant sont nettoyées et rangées ; sur la couchette repliée, les draps, la couverture de laine, le châle et le chapeau de la prisonnière sont exactement étages. La table de bois blanc a été frottée, le pavé passé au grès. A sept heures et demie, on distribue le cacao. Une de nous, accompagnant la femme qui fait ce service, s’assure qu’une pinte de ce liquide, plus un morceau de pain du poids de quatre onces, ont été fidèlement remis à chaque convict. Après ce premier repas, et lorsque la pinte d’étain a été lavée, fourbie par la prisonnière elle-même, qui la garde par devers elle, chacune se met au travail. Les débutantes n’ont qu’une besogne purement mécanique : chanvre à trier, étoupe ou charpie à faire. Nos couturières les moins expertes, — parmi celles qui ont passé le « temps d’épreuve, » — fabriquent des sacs de grosse toile ; les autres font des chemises pour les prisonniers de l’établissement, — car Millbank est en même temps prison d’hommes et prison de femmes. — Chacune travaille dans sa cellule, séparément et en silence. C’est plus tard seulement, et lorsqu’elles auront mérité par plusieurs mois de bonne conduite leur envoi dans un pénitencier moins rigide que, soit ici, soit ailleurs, on leur accordera une compagne, et que la causerie leur sera permise. A neuf heures un quart, la cloche de la chapelle donne le signal du service religieux, qui commence un quart d’heure après. Chaque matrone y conduit son troupeau spécial, dont elle compte soigneusement les ouailles à la sortie et à l’entrée des wards qu’elles traversent. A midi et demi, on distribue l’eau destinée aux ablutions. A une heure moins un quart, le dîner, composé de viande bouillie (quatre onces), pommes de terre (une demi-livre) et pain (six onces). Le travail reprend ensuite, et la voix seule des matrones rompt çà et là le silence de la vaste maison. Une heure par jour est consacrée à prendre l’air. Le personnel de chaque ward descend en masse, chacun à son heure et chacun sous la surveillance de sa matrone, dans la cour destinée à cet usage (airing-ground). Les prisonnières, à la file l’une de l’autre, en font le tour sans s’adresser la parole : au moins la règle le veut ainsi ; mais pour peu que la matrone se relâche d’une surveillance exacte, la règle en ceci est volontiers éludée. On se parle à voix très basse, les yeux à terre, sans le moindre geste, en prenant soin de se taire dès qu’on se rapproche de la surveillante, qui l’hiver grelotte sous sa pèlerine fourrée, et l’été s’endort accablée de chaleur