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capricieux de ces mamelons donne moins l’idée d’une vraie montagne que celle d’un charmant décor d’opéra. Ils ont les ondulations courtes et brisées des peintures chinoises et des vases japonais, sans la raideur et la gaucherie de ces paysages enfantins. En même temps la forêt s’ouvre ; de vastes cultures de cannes occupent le fond de la vallée, tandis qu’alentour, et déjà obscurcie par la nuit prochaine, une superbe futaie de palmiers allonge ses portiques de colonnes et de voûtes sombres. Vous rappelez-vous le grand effet des forêts de sapins de la Suisse, quand l’œil en pénètre les profondeurs et s’égare sous leurs immenses colonnades ? Ni les hêtres de nos forêts, ni les sapins de la Suisse n’égalent la majestueuse architecture de la svelte colonne végétale qui a servi de modèle au Parthénon.

Le crépuscule est instantané sous les tropiques : à peine le jour commence-t-il à pâlir que la nuit s’empare du ciel ; mais ces dernières minutes de lumière expirante, où les douces crêtes des montagnes chevelues s’illuminent d’or, où l’horizon du couchant se décore de bandes lumineuses et pures comme le reflet pâle d’un feu de Bengale lointain, où les nuées légères ont plutôt une teinte d’aurore que de crépuscule, où l’ombre grandit la taille des arbres et donne au paysage tout entier un air de majesté fantastique, ces derniers momens sont pleins d’un enchantement inexprimable. Une vallée profonde s’ouvre devant nous : j’y distingue encore vaguement la forme blanche d’un clocher avec son petit troupeau de cabanes blotti autour de lui sous la feuillée. Une montagne abrupte, étrange, en forme de pyramide tronquée, borne l’horizon de sa masse obscure. On entend quelquefois la cloche d’une plantation qui rappelle les ouvriers des champs et qui sonne joyeusement l’Angélus. Des lueurs singulières, phosphoriques, illuminent quelques points de l’horizon : ce sont les incendies d’herbes allumées dans les champs avant le labourage. Un dernier regard au reflet effacé du couchant, et c’est maintenant la lune qui nous montre montagnes, forêts et vallées, un petit quartier de lune mince, fragile et transparent, mais dont la lueur extraordinaire suffit à remplir la nuit de clarté. Voici enfin Matanzas ; des girandoles de lumière nous dessinent de loin le tracé des rues. Vite en volante, nous traversons le pont, nous escaladons une rue montueuse, et nous débarquons à l’hôtel du Leon de oro.

1er mars.

Le carnaval vient de finir. Avant-hier en arrivant (c’était le lundi gras), nous trouvions Matanzas sens dessus dessous. Les rues, d’ordinaire calmes et désertes, étaient pleines d’une foule bruyante et