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n’est plus visible ; nous l’avons remarqué tout à l’heure au bal de l’Académie.

Après une montée assez rude, nous sommes enfin parvenus sur le plateau ; nous hâtons notre allure et nous nous trouvons en face d’une grille de bois qu’un coulie humble et boiteux nous ouvre en nous tendant la main : c’est la porte de la plantation de Bellamar. En cinq minutes, nous sommes aux cavernes. Je mets pied à terre devant une cabane isolée, au milieu d’une prairie desséchée, sur un terrain sablonneux et aride où croissent quelques broussailles rabougries. Je regarde autour de moi et je ne vois que l’enclos gris et jaune entouré des palmes vertes et des grands arbres de la forêt. La maison, basse et écrasée comme toutes les chaumières du pays, est faite en bois, en écorce et en feuilles de palmier. La porte s’ouvre, et un homme en manches de chemise, pieds nus, à la figure bronzée, nous accoste avec cette aisance et cette courtoisie familière du paysan créole qui s’autorise de sa peau blanche pour traiter avec nous d’égal à égal. Attachant nos chevaux à un pieu planté en terre, nous franchissons avec lui le seuil de sa demeure, où nous nous reposons quelques instans à l’ombre. C’est un grand hangar de planches fermé de tous côtés, sans autre plancher que la terre nue, sans autres meubles qu’une mauvaise table, des bancs grossiers, deux fauteuils à bascule pour les visiteurs, une étagère poudreuse couverte de fioles à liqueur dont le gardien nous propose de goûter dans des verres crasseux, un seau d’eau tiède dans un coin de la salle et deux armoires vitrées pleines de cristaux et d’incrustations que l’on vend aux étrangers. Au milieu, un escalier de bois rude s’enfonce dans un trou noir : c’est par là qu’on pénètre dans la grotte. Chacun me disait que c’était la merveille des merveilles, et que nulle grotte encore connue, pas même celle d’Antiparos ou du Mammouth, ne pouvait soutenir la comparaison. Un ouvrier exploitant une carrière nouvelle de pierre à chaux perdit tout à coup son pic, qui disparut avec un pan de rocher. Il élargit l’ouverture, y descendit et découvrit la caverne. Le gardien vous persuadera, si vous êtes crédule, que sa caverne n’a pas de fond ni de fin, et qu’elle peut vous conduire sous l’océan jusqu’en Castille, à travers la terre jusqu’aux antipodes. L’entrée de la grotte n’a pourtant rien de majestueux : dépouillés de la moitié de nos habits, car la chaleur y est étouffante, tenant chacun à la main un bout de chandelle et précédés de notre guide, qui agite au-dessus de sa tête une torche flamboyante, nous descendons en procession un escalier de planches, le long d’une rampe en lacets bordée de balustrades grossières et éclairée de place en place par des réverbères à l’huile de pétrole. La voûte s’élargit, la profondeur est sombre et mystérieuse ; de grandes stalactites pendent du sommet, et forment des arceaux, des clés de