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ombres, de plus en plus rares, s’épaississaient par le contraste avec l’éblouissante lumière blanche qui inondait toutes choses ; la voûte céleste avait une profondeur, une vivacité chaude dont le frais et limpide azur du matin ne donne pas l’idée. On eût dit que le firmament tout entier était embrasé d’une flamme bleue. Les palmiers voisins se découpaient dans ce bleu torride avec la netteté dure et tranchée des bouquets d’arbres placés par les vieux maîtres italiens au second plan de leurs tableaux. Rien de brutal pourtant n’offensait l’œil, ébloui sans être blessé, et il semblait que ce vert éclatant fût voisin de ce bleu splendide. Les murs blanchis de la plantation resplendissaient d’une lumière mate et sans tache, plus blanche que le lait ou la neige, et comparable seulement à celle du fer fondu. J’étais assis au milieu d’un champ, sur un tas de fanes sèches, et il me semblait que la nature entière allait entrer en fusion ; mais, bien loin de s’évaporer et de se flétrir sous l’action dévorante du soleil de midi, on eût dit que la campagne s’y rajeunissait et s’y retrempait d’une vigueur nouvelle. Les feuilles des palmiers, droites et fières, semblaient s’imprégner de soleil. Pas un brin d’herbe, pas une feuille des buissons ne pendait alanguie. Cette robuste végétation défiait la fournaise, et la verdure sombre noircissait encore à mesure que le ciel s’embrasait. Je ne puis vous dire la puissance formidable de ce spectacle : cette nature métallique et plombée sous cette atmosphère de feu ne semblait pas un milieu viable pour l’homme.

Cependant, à vingt pas de moi, le mouvement et la vie retentissaient dans la cour de la plantation. J’entendais les cris, les chansons des nègres, les réprimandes du mayoral, et je crus même distinguer le bruit du fouet de cuir mêlé aux plaintes de la victime. Quant à moi, mon sang bouillait dans mes veines ; je dessinais encore d’une main incertaine, mais j’étais écrasé. Il faut avoir passé l’heure de midi dans les champs, en plein soleil, pour connaître le ciel des tropiques : le soir et le matin y sont délicieux ; mais la magnificence et la grandeur terrible de cette nature trop forte ne se révèlent qu’au milieu du jour.

Il était une heure du soir. Ni moi ni mon cheval n’avions encore déjeuné. J’avise au bord du chemin une jolie villa déserte ; les volets fermés la disaient vide, tandis que la porte ouverte, les lauriers-roses chargés de fleurs, les orangers à pommes d’or, invitaient le voyageur altéré. Des chevaux, des vaches, des poules s’ébattaient pêle-mêle dans l’enclos solitaire. La ferme adossée à l’habitation et fermée de murailles, comme une forteresse, n’avait qu’une étroite entrée. J’appelle, je frappe aux portes à coups de poing : un homme à la fin se présente, je lui demande de l’eau pour mon cheval. Il m’indique du doigt l’abreuvoir situé au bord d’un puits, au bout