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mais j’ai bien souvent cherché, j’ai bien rarement trouvé trace de cette chute involontaire qui se raccroche au moindre rameau et ne s’achève que faute d’une prise assez solide. Nos convicts sont en général horriblement perverses, trompeuses, rusées, méchantes, sans pudeur, sans aucune de ces susceptibilités particulières qui honorent notre sexe. Je ne réfléchis jamais à cette collection d’êtres dégradés sans me rappeler ces deux vers de notre plus éminent poète, parmi ceux qui vivent encore :

….. Men at most differ as Heaven and earth
But women, worst and best, as Heaven and hell[1].

Je l’avoue à regret, rien n’est plus exact. Les prisons d’hommes ne sauraient nous fournir un seul échantillon qui se puisse appareiller à ce que nous avons de pire en fait de créatures absolument, irrémédiablement mauvaises, réfractaires à ce point de lasser la patience la plus chrétienne et de mettre au défi les plus inflexibles agens de la répression sociale. Châtimens après châtimens les mènent au seuil du tombeau sans les faire un instant reculer. Un pas de plus, et la punition devient crime : il faut s’arrêter, il faut céder, sinon vous avez usurpé le droit formidable de vie et de mort. Je ne parle ici, bien entendu, que de certaines exceptions. La tourbe est vulgaire ; l’instinct la domine, le vice l’étourdit, l’ignorance l’aveugle, la réflexion et l’esprit de suite lui font absolument défaut. Quand par hasard une femme tant soit peu élevée, tant soit peu instruite, tombe dans ce milieu déplorable, elle y est dépaysée, embarrassée au possible. Les autres tournent autour d’elle, inquiètes elles aussi, flairant l’étrangère, ne retrouvant pas leur pareille, étonnées, presque irritées. « Vous avez été mieux élevée que nous, disaient-elles l’autre jour à une de ces ladies déclassées, vous n’auriez pas dû venir ici. » Et c’était pitié de voir cette pauvre femme, de ses mains encore blanches et délicates, gratter péniblement le pavé de sa cellule. — Oh ! dear ! me demandait-elle tout essoufflée, pensez-vous, miss, que ceci suffise ?… Je pourrais frotter un peu plus fort, s’il le faut absolument…

En supposant que nos journaux parviennent jusqu’à vous et que vous preniez la peine de lire le compte rendu des procès criminels, vous connaissez de nom la personne qui me tenait ce langage. C’est Elisabeth Harris, condamnée à mort, le 9 mars dernier, pour avoir fait périr deux enfans qu’un lâche séducteur avait laissés à sa

  1. D’homme à homme, la différence est au plus celle du ciel et de la terre ; — mais, de la meilleure à la pire des femmes, il y a celle du ciel et de l’enfer.