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nature duquel je n’ai pas à m’expliquer. Une autre, qui se fardait régulièrement, nous avait mis l’esprit à la torture, car on ne pouvait savoir où elle prenait son rouge, et plusieurs fouilles successives avaient été pratiquées dans sa cellule, sans donner aucun résultat. Le mot de l’énigme a été trouvé ces jours-ci. L’étoffe bleue avec laquelle se fabriquent les chemises destinées aux prisonniers de Millbank est un croisé de coton çà et là traversé d’une raie écarlate. La coquette dont je parle, effilant brin à brin ces bandelettes éparses, s’était ainsi procuré une collection de charpie qui, longtemps détrempée dans un peu d’eau, lui avait fourni ce fard dont elle usait, au grand désespoir de ses rivales. Une troisième, — des plus intraitables par parenthèse, — désolée que le disgracieux uniforme des convicts fît si mal valoir ses formes élégantes, avait fini par allonger la taille de sa robe, — Dieu sait moyennant quelle industrie et quelle patience, — puis avec des fils de fer enlevés un par un aux fenêtres des cellules spéciales où sont renfermées les prisonnières en punition, elle s’était bâti un étroit corset dans lequel sa fine taille se trouvait si durement maintenue qu’un beau jour à la chapelle la malheureuse, à demi étouffée, perdit absolument connaissance. Ainsi se dévoila un mystère sur lequel mainte et mainte matrone avait prudemment fermé les yeux, pour ne pas provoquer un éclat que faisait redouter l’extrême violence de cette belle et hardie jeune fille.

Une épingle double, un de ces petits peignes qui maintiennent les cheveux, un débris de miroir, si menu qu’il soit, deviennent ici d’inappréciables trésors. Il n’est pas de prières, au besoin pas de fraudes qu’on n’emploie pour se les procurer. L’uniforme, qui, j’en conviens, manque d’élégance, est en horreur à celles qui le portent. Le chapeau de paille, espèce de cloche informe sans la moindre garniture, leur déplaît particulièrement. Le bonnet au contraire jouit d’une certaine popularité : on le trouve séant, et il se prête d’ailleurs à d’heureuses modifications. Chaque prisonnière s’évertue en conséquence à imaginer des plis, des tuyaux, des combinaisons de tout ordre qui ajoutent à la bonne grâce de cette coiffure. Sur le mérite ou le démérite de pareilles inventions, les juges compétens se prononcent, et la mode nouvelle est acceptée ou rejetée. Mais pourquoi railler ? Ne sommes-nous pas, nous autres matrones, préoccupées également de ces vanités de toilette ? Je n’en veux pour preuve que la position hors ligne d’une des convicts (Eliza Trent est son nom) et l’indépendance, la considération dont elle jouit. Petite, chétive, d’une santé misérable, habitant l’infirmerie pendant un tiers de l’année, cette méchante fée, hypocrite comme Tartuffe lui-même, ne semble née que pour répandre les