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précisément l’amour du factice, le goût du despotisme exercé jusque sur une nature inerte, la haine et l’oubli de la tradition, le contraire enfin du génie libre et spontané. Après cela, je ne veux point dire que Versailles ne soit pas une grande chose ; c’est une grandeur froide qui impose, mais qui éteint. Ce qu’il y a de plus beau d’ailleurs à Versailles, c’est la mélancolie de cette grandeur évanouie et déserte ; ce n’est pas là l’œuvre de Louis XIV.

C’est encore un excès du même genre que je trouve dans ce jugement de l’auteur sur l’Académie française. Il dit, à propos de ce grand corps : « La règle, en France, a précédé les chefs-d’œuvre ; la discipline a prévenu la liberté. » J’accorde que, pour la date, la création de l’Académie française est antérieure à la plupart des chefs-d’œuvre du XVIIe siècle ; mais y a-t-elle été pour quelque chose ? C’est là une autre question. Jusqu’au moment où l’Académie s’est trouvée remplie par les hommes de génie du siècle, par ceux-là mêmes qui ont fait les chefs-d’œuvre qu’elle aurait précédés, jusque-là, dis-je, l’Académie me paraît avoir eu bien peu d’influence sur les œuvres littéraires. Eh quoi ! Chapelain, Conrart et tant d’autres oubliés auraient provoqué et dirigé les comédies de Molière et les tragédies de Racine ? Les mauvais auteurs contre lesquels écrivait Boileau étaient de l’Académie française. Ici encore la raison et la discipline ne marchaient pas ensemble. La discipline représentée par l’Académie était ennuyeuse, médiocre et sans goût ; la raison représentée par Boileau était alors une indiscipline.

Boileau est la passion de M. Nisard. J’avoue que je partage assez volontiers ce goût suranné ; seulement je fais deux parts dans Boileau, et, comme un scolastique, je dis à M. Nisard : Distinguo. Lorsque je vois Boileau s’échauffer contre les mauvais ouvrages, comme si c’étaient de mauvaises actions, louer et célébrer avec foi et passion et avec une admiration désintéressée Racine et Molière, lorsque j’entends sa voix mâle et émue demander au poète l’honnêteté, la dignité, la fierté du cœur, je l’aime et je l’admire avec M. Nisard, et je ne lui chicane pas le titre de poète. Boileau n’est pas, comme on l’a cru, un poète de cour ou un poète académique : c’est un poète vrai, plus fort qu’élégant, plus mâle que délicat, c’est une raison vivante, un cœur sans molle tendresse, mais plein d’ardeur pour la vertu, c’est une âme d’honnête homme. C’est le vieux bourgeois de Paris, non le bourgeois badaud comme l’Étoile, notant jour par jour tout ce qui se passe dans la rue ; non le bourgeois railleur et frondeur comme Gui-Patin, qui se dédommage dans les lettres familières du décorum des fonctions officielles ; non le bourgeois pédant et esprit fort comme Naudé, qui fait le politique parce qu’il a été le secrétaire d’un cardinal italien ; non le bourgeois naïf et