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qui est impossible : ce n’est pas là la réalité. Pour qu’il en fût ainsi, il faudrait oublier trop de choses que nous savons, en rapprendre d’autres que nous avons oubliées, La vérité est que nous sommes sortis du XVIIIe siècle, que nous vivons de son esprit et de sa flamme ; là est notre véritable origine. Maintenant l’expérience et la réflexion nous apprennent que ce siècle ne se suffit pas à lui-même, qu’il n’a pas en lui un principe d’ordre et de durée, que parmi les pensées du siècle précédent, s’il y en a qui ont pu disparaître avec le temps, il en est d’autres qui sont éternelles, et sans lesquelles aucun ordre de société ne peut durer. C’est ainsi que doit se concilier le débat entre ces deux siècles, qui répondent à deux besoins éternels du cœur humain : le besoin du mouvement et du progrès, le besoin de la stabilité et de la conservation. M. Nisard me paraît avoir très bien exprimé ce compromis dans ce passage : « Si la pensée a eu quelque chose de trop timide au XVIIe siècle sur certaines matières de grande conséquence, le XVIIIe siècle y supplée et rend à l’esprit humain, avec la liberté, la vérité. Si c’est au contraire le XVIIIe siècle qui a été téméraire, le XVIIe siècle vient, avec sa science plus tranquille et plus mûre de l’homme, rabattre ces témérités et remettre les choses au vrai point de vue.


IV

C’est surtout dans le jugement de M. Nisard sur la littérature contemporaine depuis Chateaubriand jusqu’à nos jours, que l’on voit la différence de la nouvelle critique classique avec la critique de l’école impériale, fermée à toutes les beautés nouvelles et aussi injuste qu’aveugle pour les hardiesses heureuses de la littérature de notre temps. M. Nisard juge cette littérature non-seulement avec équité, mais avec une sympathie pénétrante. La critique novatrice elle-même, devenue sceptique avec le temps, serait à peine plus sensible que la sienne à toutes ces nouvelles beautés. Et même, à mesure que l’on s’éloigne de ces grands noms qui ont troublé et passionné nos pères, ils semblent eux-mêmes devenir à leur tour comme des classiques qui ont quelque besoin d’être protégés par la tradition contre les attaques irrespectueuses des nouvelles générations. C’est ainsi que Chateaubriand et Lamartine ont déjà perdu la plus grande part de leur faveur, et M. Nisard en les louant paraîtra plutôt au-dessus qu’au-dessous de l’admiration que l’on est disposé aujourd’hui à leur accorder.

Je le demande maintenant (pour revenir au point de dissentiment qui nous partage), quel principe guide M. Nisard lorsqu’il