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Lue en pleine Arcadie, une description si véridique, ou le mythe et la réalité semblent confondus, expliqué assez pourquoi les anciens Grecs ont comme immobilisé dans cette gorge de montagne un de leurs plus antiques souvenirs. La tradition qu’il rappelait appartient à toute la race aryenne ; mais chaque peuple l’a localisée, les Indiens dans le triple Gange (la Gangâ), fleuve céleste, terrestre et infernal, les Médo-Perses dans la source sainte d’Ardouisour, les Grecs dans celle de Styx. La doctrine d’Otfried Muller doit donc être modifiée en ce sens qu’au lieu de créer spontanément les mythes religieux, les Grecs les ont localisés dans les sites qui leur ont été le mieux appropriés. Ce procédé, suivi par eux, l’a été par tous les peuples de notre race depuis l’extrême Orient jusqu’au fond de la Scandinavie ; mais la source première est la même pour tous, et c’est aux rives de l’Oxus qu’il la faut chercher.

Les premières formations littéraires n’ont pas non plus chez les Grecs l’absolue spontanéité qu’Otfried Muller leur attribue. On ne peut fixer ni le commencement, ni la fin, ni la durée de la période primitive de la poésie grecque. Quand les populations aryennes quittèrent tour à tour le centre asiatique, elles emportèrent avec elles les antiques usages qui furent communs à tous les peuples de cette race ; il en est un qui se trouve à l’origine de toutes leurs traditions : c’est celui de sacrifier dans le feu et de chanter en sacrifiant. Ce chant mesuré et rhythmé, c’est l’hymne, mot qui en grec n’a aucune signification étymologique, mais qui sous sa forme védique (sumna) signifie la bonne et la belle pensée, c’est-à-dire l’expression de la pensée par excellence. La présence de ce mot dans la langue grecque la plus ancienne prouve que les Aryas de l’Oxus composaient des hymnes avant le départ des migrations helléniques et indiennes. Ces chants étaient donc composés dans la langue commune avant de l’être dans des idiomes plus récens. Le temps a fait disparaître tous les hymnes apportés ou produits par les migrations grecques, quoique les sanctuaires de la Grèce en aient conservé plusieurs jusqu’aux siècles de la décadence. L’Inde seule a conservé les siens, et le Vêda se trouve être le monument aryen qui nous rapproche le plus de nos origines ; ses hymnes peuvent être considérés comme les types des chants sacrés de tous les peuples de notre race et comme la véritable Écriture sainte de l’Orient et de l’Occident. Ils offrent une grande variété de formes, depuis la litanie mêlée de refrains jusqu’au récit épique et au dialogue tel qu’il est réalisé en grand dans la tragédie. C’est donc là qu’il faut chercher les premiers germes d’où sont nés plus tard les genres littéraires, et l’on voit que ces formes pour ainsi dire embryonnaires existaient longtemps avant les premiers établissemens helléniques.