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d’eux-mêmes par les textes du Vêda. On voit combien est vaine l’opinion de l’école historique qui s’imagine trouver quelque chose d’Orphée dans les poésies alexandrines ou dans un livre apocryphe d’Aristote. Il est évident que s’il a jamais existé un homme du nom d’Orphée, il ne parlait pas plus grec que sanscrit, car il s’exprimait dans une langue beaucoup plus ancienne, d’où le grec et le sanscrit sont également dérivés.


II

Ainsi, durant la période des hymnes, la Grèce avait un caractère tout à fait oriental, et son génie propre commençait à peine à se montrer au jour ; les peuples qui composèrent plus tard la nation hellénique n’étaient pas encore fixés dans leur résidence définitive ; la plupart d’entre eux étaient en mouvement, les uns au nord vers les pays de Thrace et de Macédoine, les autres au sud dans la Crète et les îles avoisinantes, quelques-uns même encore en Asie. Tous, par des marches concentriques, tendaient vers un même point, la Grèce propre et le Péloponèse ; mais ils étaient loin encore d’y être parvenus. Quant à leur langue, on n’en peut rien dire, si ce n’est qu’elle n’était pas le grec, puisque le grec est encore en voie de formation dans les épopées d’Homère.

La seconde période des littératures originales, c’est-à-dire des littératures qui, nées du fonds commun, se sont développées spontanément et sans imiter des modèles antérieurs, c’est la période épique, que l’on peut encore nommer héroïque ou féodale, telle est l’épopée grecque, telle est aussi l’épopée indienne, telle est dans une certaine mesure l’épopée française du moyen âge. Autant Otfried Muller connaissait à fond la première, autant il était peu édifié sur les deux autres. Je crois qu’il ne savait à peu près rien de la littérature sanscrite, et quant à notre épopée française, bien que de son temps l’attention eût été appelée sur elle, ce n’est pourtant que dans ces trente dernières années qu’on en a rendu au jour les principales productions et qu’on a pu remonter à l’origine de ces chants. Comme les documens grecs n’avaient suffi ni aux modernes, ni même aux anciens, pour reconnaître la marche et les commencemens de l’épopée hellénique, la question soulevée par Wolf dans ses fameux Prolégomènes et débattue avec d’autant plus de passion qu’on avait moins de bonnes raisons à faire valoir, demeura sans être résolue, et Otfried Muller crut pouvoir terminer le procès par un compromis. En histoire, les compromis ne sont pas des solutions, et l’on continua de se poser ces deux questions : l’Iliade et l’Odyssée sont-elles l’œuvre d’un même poète ? L’Iliade n’est-elle