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plusieurs ressemblent d’une manière frappante à nos contes bleus.

Les Grecs de la décadence ont eu aussi leurs contes bleus en prose, issus en ligne directe des anciennes épopées. Quant à ces dernières, il faut être bien peu clairvoyant pour ne pas s’apercevoir que l’Odyssée est un roman d’aventures, et que l’Iliade est une chanson de gestes. Il faut même probablement aller plus loin et considérer cette dernière comme renfermant plusieurs fragmens fort antiques qui sont de véritables cantilènes. Toute la question d’Homère est donc à reprendre, et le compromis d’Otfried Muller doit être définitivement abandonné. L’examen des dialectes ne montre pas que les deux épopées aient été faites à des dates et dans des lieux fort éloignés, quoique l’éolien domine dans l’Iliade et l’ionien dans l’Odyssée ; mais il y a entre elles une différence de langage beaucoup plus profonde, car tandis que la première ne renferme qu’un très petit nombre de termes abstraits exprimant des idées générales, l’autre en renferme beaucoup, comme on peut le constater par la simple comparaison des lexiques. Le théâtre des événemens n’est pas non plus une preuve absolue que les poèmes aient été composés dans des pays différens ; cependant, lorsqu’une description locale est précise et circonstanciée, c’est une preuve que le poète a séjourné dans ce lieu ; quand elle est vague, c’est qu’il ne l’a pas assez observé ; quand elle est erronée, c’est qu’il ne l’a pas même vu ou qu’il ne l’a plus sous les yeux ; quand elle est fantastique, c’est qu’il ne le connaît que par ouï-dire et par des récits mensongers. Or dans l’Iliade les pays méditerranéens situés au midi, à l’est et à l’ouest sont à peu près inconnus du poète, la Grèce même n’y donne lieu à aucune description précise, les lieux n’y sont désignés que par les épithètes les plus générales et les moins significatives. Au contraire la côte d’Asie-Mineure, sur la mer Egée, est décrite avec une connaissance si détaillée des lieux, que le poète y a fait certainement un séjour prolongé. Il en est de même de Troie ; j’ai parcouru, l’Iliade à la main, cette plaine célèbre : ce que le poème rapporte d’Ilion, du site, des sources, des rivières, des collines, des tombeaux, du rivage aplani, de la rade entre les deux promontoires, de Ténédos et des sommets lointains d’Imbros et de la Samothrace est parfaitement véridique. L’Iliade a été composée sur les rivages de l’Asie-Mineure.

La plupart des contrées que visite Ulysse sont imaginaires ou paraissent situées aux limites de la navigation du temps : telles sont les îles d’Éole, de Calypso, de Circé, du Soleil, la terre des Cyclopes, celle des Cimmériens, l’île d’Eœa, qui est la Sicile rendue méconnaissable. Parmi les pays réels, ceux qui sont le mieux décrits dans l’Iliade sont presque inconnus dans l’Odyssée ; le Bosphore y