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inévitable de ce genre de littérature improvisée ? n’est-ce pas un peu, avec une autre nuance, l’histoire de M. Albert Wolff lui-même et de ses Mémoires du boulevard ? M. Albert Wolff raconte avec esprit ; il a le mot leste et piquant, il donne à tout ce qu’il dit un tour amusant et animé. Malheureusement il se trouve que, lorsqu’on rassemble toutes ces choses pimpantes, légères, faciles, railleuses, quand on les rassemble dans un livre, elles paraissent être hors de leur place ; la monotonie devient plus sensible. La vivacité s’amortit dans le cadre fixe du livre. Ce sont des riens qui restent des riens.

Cette vie de l’improvisation de tous les jours a, je le sais bien, ses exigences et ses entraînemens. Avoir de l’esprit à heure fixe, c’est la condition première ; se renouveler sans cesse, si on le peut, autre condition ; réfléchir un peu, même dans ce domaine léger, se donner le temps de voir, d’observer, ce ne serait pas de trop. Le malheur de cette vie avec ses emportemens et ses séductions, c’est qu’elle ne dispose guère à faire mieux. Elle est déjà bien assez dévorante par elle-même pour ne laisser place à aucune autre préoccupation. Elle commence par être excitante, elle finit par laisser un pli dans l’imagination, par créer des habitudes d’intelligence, si bien qu’après quelque temps on a de la peine à s’affranchir de cette séduisante tyrannie de la littérature facile. Quelques-uns le tentent et ne réussissent pas toujours. Je n’en veux pour preuve que M. Jules Claretie, et son dernier roman, Un Assassin. M. Jules Claretie est, lui aussi, un de ces esprits alertes et souples qui ne redoutent pas les aventures et qui portent gaîment le joug de l’improvisation quotidienne. Il a de la finesse, de l’entrain, de la bonne grâce, et même il laisse passer parfois dans ses causeries, dans ses récits de voyage, je ne sais quel reflet de poésie. Son imagination cultivée ne se refuse pas, chemin faisant, les souvenirs et les évocations. Il a écrit sur Waterloo, plus récemment sur le champ de bataille de Magenta, des pages qui ne sont pas seulement pittoresques et vives. Tout ceci est pour dire que M. Jules Claretie n’est plus un simple soldat dans l’armée des chroniqueurs ; il est passé officier, et il tient son rang avec bonne humeur. A-t-il également réussi dans son roman, dans ce roman d’un Assassin, écrit, comme il l’assure lui-même, aux « heures volées à l’improvisation quotidienne ? » Il a essayé du moins, et c’est un mérite ; pour le succès, c’est une autre question.

Le jeune auteur, on le voit bien, a voulu faire œuvre d’art. Il s’est dit, en esprit sensé, qu’on n’improvise pas un roman comme on improvise un article. Il y a mis tous ses soins, il s’est plu à nouer une action, à tracer des caractères. Il a eu même la bonne volonté d’avoir une idée, et il a eu des scrupules de composition qui ne l’ont pas toujours sauvé, il est vrai, de certaines licences ou de certaines négligences de style. Au fond, le roman de M. Jules Claretie, sans laisser d’avoir son intérêt et de témoigner d’un instinct littéraire assez vif, ce roman n’est qu’une histoire assez artificiellement conçue, peut-être au souvenir des romans d’autrefois, d’il y a trente