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l’espère, a gardé sa chasteté ; mes oreilles ont perdu la leur. Pas plus que nos infirmary-cleaners n’hésitent devant les immondices qu’il faut enlever, je n’hésite devant les impuretés morales qu’il faut sonder pour les guérir, et je me console en me rappelant une sentence latine que vous traduisîtes un jour à mon intention dans le cours d’une lecture que vous nous faisiez, à mon père et à moi. Aux purs, tout est pur, disait-elle. Il me semble néanmoins que je n’oserais jamais de vive voix vous transmettre de telles confidences. Les écrire est beaucoup plus facile.

Vous devez connaître au moins de nom ce quartier de votre ville natale qui porte le nom de Croiley’s Land. Moi qui n’ai fait que traverser Glasgow, je me rappelle fort bien, à quelques pas de High-street, un groupe de hautes maisons, emboîtées pour ainsi dire l’une dans l’autre, horribles de misère et de saleté, tache de lèpre étendue sur le quartier le plus vivant d’une des villes les plus industrieuses et les plus riches qui soient au monde. C’est là, dans une ruelle infecte nommée New-Vennel, que Jane a dû venir au monde, sur un tas de copeaux, le seul lit que sa mère ait jamais connu. Cette femme était logeuse. Dans son unique chambre, entendons-nous bien, elle abritait à la nuit, et moyennant une rétribution minime, les misérables que n’effrayait pas l’aspect de ce taudis. Pour elle, aucun loyer à payer, la maison étant condamnée par la police municipale à n’être plus occupée qu’à titre gratuit tant que le propriétaire refuserait certaines réparations regardées comme indispensables au point de vue de la sûreté publique. Mistress Cameron ayant soin d’entretenir bon feu toute la nuit, les pratiques, en hiver, ne lui manquaient pas. On entrait, on payait, on se couchait sur le tas de copeaux, ou, s’il était envahi, près du tas de copeaux, puis on s’endormait. Mistress Cameron, sur sa chaise, sommeillait aussi ; du moins ses yeux semblaient-ils fermés ainsi que ses oreilles. Elle ne voyait jamais compter la monnaie d’une bourse récemment volée ; jamais elle n’entendait comploter à voix basse une expédition suspecte. Que voulez-vous ? elle avait le sommeil un peu dur, malheureusement pour la police. Quant à voler elle-même, jamais mistress Cameron ne s’y risquait ; jamais du moins on ne la mena devant les juges comme prévenue d’un délit de cet ordre. En revanche, elle y allait presque toutes les semaines pour s’entendre admonester sur ses habitudes intempérantes. Elle avait un faible pour le whiskey ; la perfection est si rare en ce bas monde ! Somme toute, mistress Cameron valait infiniment mieux que l’homme associé à ses destinées, — son rush, pour parler la langue de l’endroit. — On ne connaissait à ce dernier aucun gagne-pain. Il disparaissait pendant des mois entiers,