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qui glisse successivement à travers neuf fils divisant le champ du télescope, et à chaque fois qu’elle se montre derrière un de ces fils un nouveau mouvement du doigt et un nouveau coup sec annoncent aussitôt qu’elle est là. De l’autre main, il tourne un écrou qui fait passer sur l’astre un autre fil de fer horizontal, de sorte que l’étoile, intersectée par ces barreaux, ressemble à un oiseau de lumière pris dans une cage. Elle ne tarde pourtant point à s’échapper et s’évanouit comme elle est venue, en scintillant. L’observateur détache alors son regard de l’oculaire de la lunette, et, après avoir lu certains caractères hiéroglyphiques gravés sur une partie de l’instrument, il descend de son siège pour aller consulter les résultats marqués par les micromètres et mesurer ainsi l’angle des distances.

Les assistans sont tous des astronomes de profession dont les yeux ont été exercés par une pratique assidue. Comment donc se fait-il que leurs observations ne se rapportent point toujours entre elles ? Il y a là un mystère physiologique intéressant à pénétrer. Chaque observateur, quoique servi par le même instrument et guidé par les mêmes méthodes, aperçoit un phénomène céleste, comme par exemple le passage d’une étoile, plus tôt ou plus tard qu’un autre. On attribue cette différence à l’individualité du sens de la vue ou à la manière plus ou moins prompte dont l’œil télégraphie ses impressions au cerveau. Il ne s’agit point ici, qu’on l’entende bien, de grandes inégalités de temps, je parle tout au plus de quelques fractions de seconde ; mais les observations astronomiques du transit sont si délicates que les moindres écarts en altéreraient le mérite. Il a été nécessaire en ce cas d’établir une moyenne arbitraire, standard, et chaque observateur sait au juste de combien ses facultés visuelles s’éloignent d’un tel idéal. De là cette question inintelligible pour un profane, mais que les astronomes s’adressent volontiers entre eux : « quelle est la valeur de votre équation personnelle ? » A quoi il est répondu par un chiffre exprimant le degré de déviation du type. Le plus singulier est que la valeur de cette équation personnelle n’est point la même chez le même observateur pour tous les astres du ciel ; tel saisit plus vite les phénomènes d’une étoile qui saisira plus lentement ceux de la lune et vice versa[1]. Il faut aussi tenir compte des aberrations de l’instrument. Tout

  1. Pour obvier aux inconvéniens qui pourraient résulter de la différence des équations personnelles, on a d’ailleurs eu recours à un moyen ingénieux : un oculaire à deux tubes permet à deux assistans de regarder en même temps le passage de la même étoile sur les mêmes fils de l’instrument ; ils prêtent tous les deux l’oreille aux pulsations de l’horloge indiquant les secondes, et calculent séparément les résultats de leur observation, qui sont ensuite comparés. Pour plus de certitude, ils changent de temps en temps de position entre eux, et les moindres chances d’erreur sont ainsi éliminées.